Barjini Heyno, Possibles n° 62, février 2021

Barjini Heyno
La “découverte de ce numéro, février 2021

Nous allons nous manquer

Nous allons nous manquer à force de nous taire, nous manquer à vivre et à pleurer
On pourrait se dégorger l’estomac, se dire que c’est possible d’aimer se manger le matin en se regardant jusqu’au bout.
Tu es loin, je n’arrive pas à te parvenir, je devine seulement que tu es là, un peu, en silence.
Je n’ai plus froid dans le dos, j’ai froid partout.
Comment peut-on se déchirer au point de laisser brûler tout ce que l’hiver cache à l’intérieur.
Puisque rien ne brûle, rien de tes jours passés à grandir, rien ne mourra de toi, jamais
Tout veut vivre, et rien ne se passe, j’essaie d’aller te chercher, tu dégoulines tellement, pourtant rien, rien ne vit ailleurs que dans ton silence et sa noirceur terrifiante.
Je voudrais bien t’aimer plus loin, si loin, que tu pourrais sentir le jour au milieu de la vie, fendre les ténèbres dans tes yeux d’enfant.
Je m’assieds dans tes doutes, j’empile tes cauchemars, je te parle très fort, tu souris, on devrait se regarder quand on pleure.
Je te cherche aveugle, j’ai nulle part où te trouver
Lorsqu’on voyage, on pénètre les églises, les musées, les bars, les restaurants, on visite les recoins, on prend tous les transports, on s’essaye à vivre, il nous manque ça à nous les Hommes, l’émotion de se visiter.

Barjini Heyno, repris du Livre des visages [26 décembre]

Je suis déjà partie

Je suis déjà partie comme on rejoint la chambre à l’autre bout du regard, sans la moindre petite déchirure aux lèvres, ni le moindre vêtement aux yeux.
Lorsque les jours se serrent à l’intérieur, comme un fœtus oublié dans la mer, lorsque les paupières se rabattent à l’abri du vivant, se penchent sur la poitrine et restituent au corps, assez de chaleur pour y rester.
Je suis déjà partie, les poumons vides, lavés de tout sanglot, légère comme la nuit qui me frôle et m’étreint.
Je partirais encore, au fond du petit bois de la mémoire, où se dressent la vie sauvage de nos tremblantes agonies.
Je reste plantée là, au milieu d’une fièvre errante, agitée par la fougue que le coeur a versée.

Barjini Heyno, repris du Livre des visages


Élisabeth Loussaut, Deux poèmes en prose —>

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