Anne Fontaine, Possibles n° 42, mars 2019

Anne Fontaine
La contemporaine de ce numéro de mars 2019

Ce rivage, que je l’explore

Ce rivage, que je l’explore ! Une île. De baie en baie, j’en fais le tour. Des anses profondes, des estuaires, des deltas pleins de limon. Et tout de suite, les tamaris couleur de coucher de soleil. À l’ouest, voici les falaises creusées comme un rayon de miel recelant les grèbes et les mouettes par milliers. Voici le phare tournant, les grottes pleines d’appels, où gémissent les vents. La voix des trépassés, disent les bonnes gens effrayés. Voici le rocher soulevé par la marée et retombant sur sa base avec un grand choc. Un calcul sûr entre le poids de la pierre et la force de l’eau. Une opération qui ne dure qu’un instant, qui enchante le physicien deux fois le jour et qui résonne comme une interrogation, un rappel plein de mystère et d’inquiétude.
Ce n’est pas l’île déserte, l’île au milieu des terres, la nostalgie de Sancho Pança. C’est l’une entre toutes, faite pour le ravissement des oiseaux et la nostalgie des hommes. […]
Bleue, bleue est la planète, les astronautes l’ont dit. Bleu le matin, et bleu le soir. Bleu le chemin, bleu le bonheur plus grand que mon cœur.
Faites-moi signe du rivage ! Dressez l’amer sur le rocher, le phare tournant, les feux sur les promontoires ! Que je vous voie encore ! Que je vous devine !
Je ne distingue plus les caps, les îles en collier près des estuaires, les bancs de sable avec les oiseaux. Engloutis le Navire, la Croix-du-Sud, le Centaure, le Cygne, le Chariot, la Voie lactée. D’autres soleils sortiront des nuées. Mon sommeil fut si court et les astres ont tant de hâte.
Le vent se lève. La grand-voile est pleine. Pleine comme la brebis, comme la lune, comme la mer. Serais-je sans mémoire ?
Pour des millions d’années, j’emporte l’odeur du figuier.

Anne Fontaine, Pour des millions d’années, Éditions de l’Aire, 1987


Arielle Burgelin, Le Chat bavard —>

Anne Fontaine a publié dix-sept ouvrages entre 1947 et 1987. Elle est née à Lausanne en 1908 où elle est morte en 2004. Son œuvre a été honorée du prix des écrivains vaudois en 1984. — Un grand merci à Claire Cohen, qui enseigne actuellement à Macau, pour nous avoir fait découvrir cette poétesse qui enchante la plénitude.


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