Françoise Roubaudi, Possibles, n° 42, mars 2019

Françoise Roubaudi, Souvenirs et expériences
Hier : L’invitée de longue date pour ce numéro de mars 2019

Ciel d’été en fanfare

Françoise Roubaudi

Nous restions des heures, au fond du jardin, loin de toute lumière artificielle, les enfants et moi. Sur nous, le ciel étoilé.
Les enfants connaissaient les noms des galaxies; il les répétaient en boucle, mi rêveurs, mi rigolards : « Le Lion et sa galaxie, Les trésors de la licorne, les Nébuleuses brillantes ». « La chevelure de Bérénice » et l’histoire de cette reine trop belle dont le mari jaloux avait coupé la chevelure pour la condamner à errer éternellement dans les cieux.
Année après année, nous retrouvions, à la même place, Sirius, Cassiopée et le voile léger de la voie lactée. Et les étoiles filantes, ces astres morts, dont nous attendions la dernière chute lumineuse.
Il aurait suffi d’un rien pour que nous nous incorporions à ce grand tout de l’univers pour faire partie de cette grandiose splendeur.
Et parfois, ce rien arrivait.

Haine, violence, délation

Se dresser les uns contre les autres, coqs en colère sur leurs ergots, taureaux en furie, chiens de combat.
Scinder l’humanité en deux camps : les bons et les méchants, les victimes et les bourreaux. Et se cracher à la gueule.
Par quels chemins étroits et sans issue nous éloignons-nous de notre vérité profonde ? Renonçons à qui nous sommes et ce pour quoi nous existons ? [Octobre – Trouver un endroit calme]

Absence d’oiseau

Un vieil homme prend le temps d’achever les six cent pages de ses Mémoires avant de mourir. « Les mots l’ont tué », dit sa femme. Ses enfants, qui ne le liront pas, croient, au contraire, que ce récit l’a maintenu en vie jusqu’au mot « Fin », quasi illisible, sur la six cent unième page de son manuscrit. [Souvenirs et réflexions]

Presque rien

Sur mon chemin, il m’arrive de croiser des jardins potagers : les légumes y sont parfaitement alignés et arrosés ; il y pousse aussi des fleurs mais aucune mauvaise herbe.
Parfois, le jardinier est là, penché sur la terre. Quand il lève la tête, je lui dis qu’il a un beau jardin, est-ce qu’il m’autoriserait à le prendre en photo ? Il est confus et répond en souriant que c’est « presque rien », ça ne vaut vraiment pas la peine de prendre une photo. Et il se retourne vers la terre. [Octobre ensoleillé]

Françoise Roubaudi, inédits

Poète invitée: Jeanne Orient, « Les Bouleversées » —>

Françoise Roubaudi a publié une quinzaine de volumes de poésie, témoignage, romans, nouvelles, dont quatre aux éditions Encre Fraîche à Genève.

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