Colette Fournier, Possibles n° 54, mars 2020

Colette Fournier, Écrits en liberté
La contemporaine de ce numéro de mars 2020

J’ai marché hier depuis Bellecour

J’ai marché hier depuis Bellecour jusqu’à Zola
Le symbole était grand, j’avais quitté sur la place
l’altière silhouette de Louis le Quatorzième
chevauchant droit et fier sans selle ni étriers
Les trottoirs de la ville crachaient tout au long
les entrailles de la terre, mises à nu, excavées
et forées d’importance, leur réseau compliqué
de veines et d’artères, en gros tuyaux orange
révélant ses secrets sous des passerelles fragiles
Il faisait froid, une bise glaçante embrassait les visages
Des tas de gens marchaient, tous ceux que le sous-sol
avait régurgités, le métro à l’arrêt rendait à la nuit
les marcheurs du dessous, l’armée des travailleurs
rentrant, col levé, dans ses appartements, que dis-je
ses cantonnements, ses quartiers
Cette longue saignée m’a fait rêver durant ma longue marche
C’est qu’à force de cogner ses pas sur le bitume
on oublie quelque peu ce qui bat en dessous
À un angle de rue, un grand arbre tranquille
bien qu’en équilibre précaire étendait sans hâte
ses nœuds racinaires et son tronc abrité du gel
J’ai fait silence pour tenter d’écouter
ce grand cœur tellurique sonner le rappel de la vie
et c’est le mien que j’ai perçu, fort et assuré
puis le grand chant de frissons courant le long de mon échine
Et c’était bon.

Colette Fournier, repris du Livre des visages, février 2020


Colette Fournier, Dans mon rêve, il y avait —>

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