Hommage à Paul Valet par Patricia Suescum, Possibles n° 55, avril 2020

Paul Valet, La Parole qui me porte
Le contemporain de ce numéro d’avril 2020

Patricia Suescum, Hommage à Paul Valet

Que pourrais-je vous donner de plus grand que mon gouffre ?
Paul Valet, Mai Hors saison [revue] n°9, 1983
réédition Le Dilettante, janvier 2020, 17 €

Patricia Suescum

Par quel chemin remontes-tu jusqu’à nous, en ces temps troublés ?
L’homme ne cesse de se chercher sans qu’il ne soit jamais question de se trouver.
Ton langage siège debout sur ma langue déliée. J’entends marteler le fruit de tes recherches ! Tes mots me permettent de ne jamais écarter la faille, mais de la célébrer dans l’accélération de mon souffle.
Faut-il que ta précision chirurgicale n’épargne aucun de mes tourments ?
Je salue ta clairvoyance, ton absolue vision et la froideur d’une réalité stricte. Je salue tes silences, la pudeur confinée et la violence de ton engagement.
Que les âmes pondérées ou fragiles s’instruisent, dans le claquement sec et sans appel de ton chant, c’est la voix d’un monde scruté, c’est la douleur de vivre et l’immense possibilité d’en découdre.
Au bord du gouffre, trône la confession, l’ultime don de soi, la délivrance du verbe sur les corps mortels. De ta parole vertigineuse, je plonge aux confins de mon être, aux profondeurs de ma pensée et je m’octroie l’équilibre des fous.
Comment ne pas perdre la raison à tenailler sans cesse sa conscience, dans l’autopsie rigoureuse du doute ?
Cette faiblesse plus honorable que toutes les qualités engendrées par l’effort, galbe le torse de l’effondré, dans le lien intemporel, dans les résonances d’outre-tombe.

Le vivant est là et cueille ta parole sacrifiée où l’orgueil a perdu toute raison d’être. Quand la beauté de l’ombre éclipse le soleil, les hommes se retrouvent par instinct.
Je décline la facilité de l’oubli, l’offre de l’aveugle, je te vois, toi, ton nom n’est plus un nom, mais une voix inaltérable de ma mémoire.
À te rendre invisible au monde, à te cloîtrer au plus près de l’abnégation poétique, ta puissance verbale reste intacte, jamais distraite par le vacarme parodique, par le bavardage sans substance.
Ta servitude est la mienne, celle de l’acceptation douloureuse, celle des chemins d’épines, celle des plaies à jamais ouvertes.
Dans le renoncement, l’étendue d’une réflexion efficace et constructive.
Et quand d’autres ne voient que jeux mortels, je vois la vie galvanisée, chargée de vies internes. Je vois le choix d’une existence à contretemps, car tous les grands feux sont intérieurs et ne laissent rien transparaître au sommet du jour.
Si le cri effraie, si ce cri agace, irrite parfois, l’écho est permanent, il s’agit même de sa fonction première.
Paul Valet, te voilà immortel pour quelques-uns, mais n’est-ce pas là déjà le miracle, quand tout finit par se perdre dans l’oublieuse citadelle des hommes enfouis ?

Patricia Suescum, Hommage inédit, 15 mars 2020


Découverte : Emmanuelle Rabu —>

La Parole qui me porte et autres poèmes, préfacé par Sophie Nauleau pour Poésie/Gallimard, 2020, reprend quatre recueils dont trois avaient paru au Mercure de France de 1960 à 1965. Paul Valet [1905-1987] y écrit surtout des aphorismes qu’il tronçonne en distiques. « Être pauvre en leçons / Enseigner les lacunes. »

Page précédente —  Imprimer cette page — Page suivante