Marie-Josée Christien, in Possibles, n° 55, avril 2020

Marie-Josée Christien
La page “invitation” de Possibles, n° 55, avril 2020

Marie-Josée Christien, Affolement du sang lu par P. P.
préface de Jean-François Mathé, encres d’André Guenoun, Al Manar, 2019, 134 pages, 19 €

La préface de Jean-François Mathé apporte à ce volume un éclairage nécessaire. La dédicace est ironique, prévient-il : « À Vaquez l’ami fidèle ». Et de préciser que ce médecin français a donné son nom à une maladie orpheline. Le titre du volume n’est pas vain. La métaphore s’éclaire d’une belle raison d’être. « Si la lumière a baissé, les mots resserrés dans des poèmes brefs gardent, comme de vives étincelles, de quoi éclairer de leur force lapidaire les moments de faiblesse, la détresse », écrit encore Jean-François Mathé. Comme chez Valet, en vers plus courts encore, Marie-Josée Christien hache essentiellement des aphorismes. « Au plus fort du silence / il n’y a pas de différence / entre la vie et la mort. » Ces trois vers contiennent, si j’ose écrire, la page 21. C’est à cette altitude que se situe le volume. « J’aborde l’espérance / comme une absente // comme une lumière qui viendrait / d’un astre mort // je meurs / de vouloir vivre » Page 25 ; et voilà la page 49 : « À qui désormais / dire / que rien ne me retient ». Elle note aussi page 66 : « la cendre / comme seule preuve / de vie ». Elle offre des raccourcis saisissants : « La douleur m’écarlate », page 95 et page 110 : « Qu’est-ce qui sépare / la vie de la mort ? / Le souffle. »

Marie-Josée Christien passagère du réel et du temps
anthologie, portrait[s] et approches, collection Parcours, Spered Gouez éditions, 2020, 130 pages, 13 €

Collage de M.-J. Christien, 2019

Ce volume apporte divers éclairages sur l’auteur et son œuvre et livre soixante pages d’anthologie. J’ai sélectionné parmi celles-ci quelques-unes des réflexions notées depuis 2014, que Marie-Josée Christien a réunies sous le titre d’ Éclats d’obscur et de lumière [à paraître en 2020 ou 21]

« La langue n’est pas le sujet du poème. Elle est seulement le matériau qui le sublime.
La poésie est un état de veille.
Les poètes belges me semblent d’une fantaisie pure, absolue. Celle des poètes bretons est plus mélancolique, plus grave.
J’écris pour éclaircir, pour éclairer.
Écrire est très physique. Il faut aller chercher ses mots très loin dans son corps et dans sa mémoire, au tréfonds de ses cellules. On peut en sortir aussi épuisé qu’après une activité physique intense.
Si les poètes lisaient, ils écriraient moins.
Une poésie qui ne s’adresse pas aux êtres humains, qui se complaît dans l’incommunicabilité, est inutile, infondée. Sinon, on pourrait se satisfaire de poèmes écrits par une intelligence artificielle.
La simplicité ne serait-elle pas l’une des marques du génie poétique ?
Le monde de la poésie est composé de beaucoup de talents indéniables, d’un certain nombre d’imposteurs et de quelques rares poètes authentiques.
Tout grand lecteur n’est pas automatiquement un authentique poète, mais tout authentique poète est forcément un grand lecteur.
Écrire, c’est manifester notre désaccord avec la marche convenue du monde.
Dans le parcours d’un poète, il ne devrait y avoir aucune entorse, aucun accommodement, aucune compromission à son intégrité. Rares sont pourtant ceux qui refusent les systèmes heurtant les valeurs que porte la poésie.
Écrire est un processus lent. Il en résulte une tension qui crée de l’énergie. Il faut du temps pour que la matière informe et brute se mette à exister.
On n’écrit pas qu’avec sa tête, mais avec toutes les cellules de son corps.
La poésie métamorphose la création individuelle en un miracle collectif. »


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J’avais déjà donné de Marie-Josée Christien des extraits de Petites notes d’amertume, préface de Claire Fourier, éd. Sauvages, 2014, dans le numéro 20 de mai 2017.

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