Guy Bellay, in memoriam [Possibles, nouvelle série n° 1, octobre 2015]]

Guy Bellay, in memoriam
Hommage au poète bref mais vrai des Charpentières

« Lorsqu’un adolescent cloue ses portes de l’intérieur et prend le large avec la pure colère des torrents, des sources cachées dans ses propres eaux l’accompagnent comme des voyageurs clandestins, tandis qu’au loin ceux qu’il croit quitter s’amenuisent, le regard chargé à couler d’humanité. »

Guy Bellay, “Lettre à mon père” in La Liberté, c’est dehors, 1984,
reprise dans Les Charpentières, Le Dé bleu, 2002

Georges Mounin, préface à La Liberté, c’est dehors

couverture, 2002[…] Chez Guy Bellay tout est inattendu, mais tout est évident : le rouge-gorge et son regard d’obsidienne, les amoureux de six ans assis dans le noir du dernier palier, l’arrivée d’un fils à vingt-trois heures trente à la gare de Nantes – et c’est, de plus en plus exactement, le soleil avec son sac de marin, le soleil qui vient de traverser la nuit, seul, pour la première fois. Ou bien le terrible portrait d’enfants en groupe, que nul enseignant digne de ce nom ne pourra lire d’un œil sec. Ou encore, dans l’amphithéâtre bondé de la faculté des lettres, en mai 1968, un couple assis par terre, enlacé comme dans un bois en mai. Et puis cette empreinte d’une patte d’ours sur la première fille enfin – déjà – déshabillée, sous le regard brûlé d’un adolescent qui ne ment pas à soi-même ; et ces Nocturnes populaires, dont les journalistes sportifs n’ont jamais su rendre l’atmosphère (Ici, on pense aux admirables poèmes d’Umberto Saba sur le foot-ball). Au sens propre du terme, Guy Bellay peut tout dire ; même sans s’excuser, le court moment de jubilation qui suit le discours d’un candidat à la présidence de la République ; oui, tout dire, même son père, même sa mère, même sa femme – avec ce qu’aucun poète, ensorcelé par son pouvoir d’écrire, n’a pensé à dire : Pardonne-moi de parler de toi / devant tout le monde et pour tout le monde. Guy Bellay est le premier qui ait eu ce mouvement, ce soubresaut, qui unissent indissolublement le texte et la vie. Et puis, juste à côté, le ciel et toutes ses constellations (chaque nuit, la roue des voyages pivotait au-dessus de ma tête, comme un rapace, confiante, en m’attendant). Pour Guy Bellay, tout peut-être dit, même un frémissement bref dans le feuillage, semblable à celui qui secoue parfois le dos de l’homme qui finit d’uriner.

Tout peut être dit parce que ce n’est pas écrire qui est désespérant, c’est le vide entre deux émotions. Et c’est vrai pour le lecteur aussi. Les poèmes de Guy Bellay sont comme un miroir où le poète et le lecteur, côte à côte, communiquent parce qu’ils se regardent, et qu’ils regardent ensemble dans ce miroir ce que le poète a su voir, la vie, la vie tout entière, cette vie dont il faut vivre les questions qui blessent au hasard, parce qu’elles sont aussi difficiles à saisir qu’un martinet entré dans une chambre dont il ne retrouve pas l’issue.

Surtout quand le poète ajoute : Ne pas faire de sentiments [très routinièrement] avec ses émotions.

Georges Mounin, Préface à La Liberté, c’est dehors, éditions Saint-Germain-des-Prés, 1984
Malgré des recherches, nous n’avons pas trouvé l’ayant-droit de cette préface. Qu’il nous excuse.

Pour vivre, poème de Restez. Je m’en vais —>

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