Prendre place dans Possibles [une charte pour éviter les déconvenues, par Pierre Perrin]

Prendre place dans Possibles
[une charte pour éviter les déconvenues]

La poésie, avant de se déposer par miracle dans l’écriture, demeure en suspens dans la vie.
Jacques Réda, Celle qui vient à pas légers, Fata Morgana, 1985

Huit articles composent Celle qui vient à pas légers, 88 pages. Dans “Poésie parlotte” [1972], Jacques Réda assène quelques vérités. La première est, page 55 : « une certaine critique a placé trop de raseurs sur le même plan et ainsi à la longue déconcerté pour longtemps le public ». La seconde, page suivante : « Presque tout ce qu’on lit dans les revues et dans les plaquettes oscille entre une dégénérescence du syllabisme et une prose indigente mise en morceaux sans nécessité prosodique. Aucun savoir, nulle fraîcheur, encore moins la rencontre captivante des deux. » Page 57, en réaffirmant que « le français est ryhtmique », il évoque en ces termes les prurits incommestibles : « Devant cette déperdition de petite poudre qui s’éparpille en tics typographiques, on évalue le ravage exercé par la méconnaissance de cela dans la langue. »

Dans “Le Grand Muet”, page 63, le E-muet reste « pour la prononciation même mentale » obligatoire. En pure perte. Il n’est que d’écouter Corneille, Molière et Racine au théâtre. Et, comme les horaires d’enseignement [du français] ont rétréci de plus de moitié depuis 1983, on n’enseigne plus aujourd’hui la maîtrise du rythme du vers et de la phrase à personne. Page 78, tournant résolument le dos au non-sens, il cerne le champ du poème. « Je ne suis pas assuré que le plus “pur” poème n’ait pas comme on dit “un sujet” : un cimetière marin, une éponge, un éventail de Mlle Mallarmé. Mais c’est le plus souvent un sujet obscur ou difficilement saisissable (une émotion, une intuition), exigeant des modalité de traitement particulières. »

La déontologie m’interdit de le citer davantage. Les jeunes poètes connaissent-ils ces pages roboratives ? C’est un petit traité de poésie, un peu bougon mais conduit avec un humour ravageur. Elles devraient leur être familières, ces pages. Imagine-t-on un viticulteur sans un traité d’œnologie, à portée de main ? Il n’y a pas de tour de compagnon du devoir, pour le poète. C’est impensable. Les ateliers de poésie ? Les poètes que je donne à lire, en tout cas, devraient s’inscrire, sciemment ou non, dans une telle communauté d’esprit. La poésie transmet, touche, emporte. Le reste n’est pas… Possibles.

Pierre Perrin, mercredi 7 octobre 2015


Jacques Réda a dirigé La Nouvelle Revue Française de 1987 à juin 1996. Un de ses poèmes, repris de La Lettre sur l’Univers, Gallimard, 1991, « Salut » nourrit un sujet de bac, sur ce site. Ce sujet, l’inspecteure générale de service en 2011 ne l’avait pas retenu, arguant des problèmes de droits et de vaches maigres…

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