Denise Le Dantec, Possibles, n° 22, janvier 2017

Denise Le Dantec
L’invitée de longue date pour ce numéro de novembre 2017

Soyons vrais

Denise le DantecEt jusqu’à quand devra-t-on lire cette poésie décadente, usée jusqu’à la moelle, où la prétendue nature nous livrerait ses secrets et, si l’on sait y voir, nous dicterait nos conduites ? Je le dis avec d’autant plus de force que j’ai pratiqué moi-même ce genre de poésie, conséquente de spiritualismes divers, de retombées du surréalisme justifiant entre autres d’ahurissantes images et métaphores, d’emprunts patents, d’effets poétiques vides mais qui, vite lus, donnent à accroire qu’il s’agit bien de poésie… Cette poésie complaisante est à la mode, et même encensée, sur nos murs [du Livre des visages]. Que le jeune poète ne s’y méprenne pas ! La poésie est un art rude et difficile dans lequel on travaille rudement avec le langage. Mais l’exercice serait futile et ne se tiendrait que dans un narcissique entre-soi si elle n’était que cela. Car la vie est là, souvent cruelle – l’amour même a ses péripéties et accidents. Jeunes poètes, laissez tomber les nuages-oiseaux-océan-lumière ou alors montrez-les ces nuages, ces oiseaux, cet océan, cette lumière mais montrez-les autrement ! – sans oublier que la nature est culture, travail humain.
Jeunes poètes, créez une poésie urbaine terrible et belle. Fuyez les doux ombrages de vos petites mélancolies, les trouvailles déjà trouvées du jardin de vos coeurs.
Agrandissons nos esprits en lisant les livres d’histoire, de philosophie, de… Une chose est toujours beaucoup plus qu’une chose, et le ciel est parcouru de routes humaines…
Enfin, sans prôner une poésie engagée, laquelle souvent n’engage rien d’autre que le bruit de sa trompette, essayons de créer une poésie engageante et neuve.

Denise le Dantec, repris du Livre des visages, le 27 juin 2017
Pour la photographie, reprise du n° 206 [mai-juin 2015] de la revue Armen

Les limites de la langue

Les limites de la langue, à quoi ça ressemble ? Quel Welt ? J’étais là, tout près. J’entendais les oiseaux, leurs sifflements s’ajoutant à l’entourage de rêve où je me trouvais.
Une fauvette babillante est venue, puis d’autres. Dans les effondrements-miniature de la langue. Les égarements splendides. Le ciel, très bleu.
Une hésitation, une ouverture – des tremblements. Un texte en lettres d’or. Des phrases, pas la langue.
Les yeux dans la carte du ciel. Les étoiles douces.Les chuchotis des âmes des fleurs.
Sous un buisson de berbéris, une taupe a montré ses yeux de perle – ses miettes de conscience…

Denise le Dantec, repris du Livre des visages, le 23 août 2017

Poète invitée: Sabine Huynh, Mère —>

Denise le Dantec a publié une trentaine d’ouvrages dont le curieux trouvera les titres et les éditeurs sur la Toile, sur cette adresse des éditions des femmes, par exemple. Elle est poète, romancière, introduit à des jardins concrets et de féérie.

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