Jacques Taurand, Possibles n° 37, octobre 2018

Jacques Taurand
L’invité n° 2 de ce numéro d’octobre 2018

Je serai sur le point de mourir

Jacques Taurand

Je serai sur le point de mourir
Quelqu’un ouvrira au hasard l’un de mes recueils
Le soleil continuera de colorier le paysage indifférent
Un couple se disputera à propos de broutilles
Les éclats de leurs voix se mêleront au grondement d’une rue
Je cueillerai du regard les derniers reflets de la vie
Mes mains décharnées s’enfonceront dans la neige des draps
Et des voix chères tisseront autour de moi un voile de tendresse
Je n’aurai pas peur de la mort compagne du silence
et du vide du tic-tac du cœur et de ma solitude
Je n’aurai pas peur l’ayant mille fois vaincue en me glissant
dans les mots qui chemineront
sans moi entre vos mains réchauffant les pages
et révélant les caractères bandelettes de ma momie
mais qui leur parleront de la même chose
de cette urgence de vivre de ce bourgeon
qui reverdit toujours et dépasse la mort
L’un de mes descendants refermera mon livre
et songera un instant à cet aïeul depuis longtemps
disparu là-bas dans un autre temps.

Jacques Taurand, Les étoiles saignent bleu, préface et choix de poèmes par C. Dauphin, les HSE éditions, 2018


Lectures de La Porte et autres poèmes de Pierre Perrin —>

« La passion de vivre ; la patience de l’écrire. » Christophe Dauphin dit le poète, critique et nouvelliste Jacques Taurand [1936-2008] « à l’aise dans ce qui est murmuré, dans ce qui garde l’empreinte de la nuit, qui entre dans la lumière rasante du matin ou du crépuscule ». Il rapporte aussi cette confidence : « Dès 1955, Louis Guillaume m’a incité à “entrer en moi”, au plus près des laves éruptives puis à solidifier ce jaillissement, à en faire ce petit menhir dont les formes attestent ces belles érosions de la vie mais ne laissent plus prise au temps. »

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