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Colette Daviles-Estinès
La page “invitation ” de Possibles, n° 46, juillet 2019
Il était une fois au Vietnam

Il était une fois au Vietnam, ma sœur, un frère.
Il était une fois leur père, ma mère et ce qui arrive souvent aux couples,
leur père, ma mère, un divorce.
Il était une fois ma mère, mon père et nous.
Il était une fois ma sœur, un frère, leur père disparus
sans laisser de trace.
Il était une fois ma mère et sa souffrance.
Il était une fois en Nouvelle-Zélande, mon père, un crabe.
Ils se sont battus, mon père a perdu.
Il était une fois ma mère et sa souffrance.
Il était une fois en France, ma mère, un nouveau père et nous.
Il était une fois au Tchad, ma mère, leur père.
Ils ne se sont rien dit.
Mais il était cette fois où nous avons appris l’existence quelque part de ma sœur, un frère.
Mon nouveau père a aidé ma mère à les retrouver.
Il était une fois au Ghana, ma sœur, et un frère à Paris.
Ma mère, ma sœur et mon nouveau père se sont rencontrés, connus, reconnus,
aimés.
Il était une fois en Côte d’Ivoire, j’ai rencontré ma sœur.
Un frère n’a pas voulu nous connaître.
Il se sentait abandonné, trahi, volé.
Il était une fois en France, ma mère, un crabe.
Ils se sont battus, ma mère a perdu.
Il était une fois mon nouveau père et sa souffrance.
Il était une fois, trop tard, un frère qui pleurait dans nos bras.
Mon nouveau père lui disait : Elle est là-haut – alors qu’elle était en bas, sous la pierre – et elle te voit, je suis sûr qu’elle est heureuse.
Il était trop de fois mon nouveau père et sa souffrance.
Il ne s’est pas battu.
Il était une fois ma sœur, un crabe.
Ils se sont battus, ma sœur a perdu.
Des années que je porte cette histoire sans trop savoir par quel bout la prendre.
Ma sœur, tu voulais que je l’écrive. Maintenant que c’est fait, j’espère que tu me lis là-haut, en bas sous la pierre.
Colette Daviles-Estinès, in Matrie, éditions Henry, 2018
Née au Vietnam en 1960, Colette Daviles-Estinès passe son enfance en Océanie et en Afrique. Elle a été paysanne durant plus de 30 ans dans le sud des Alpes. Ses textes (poésie, chroniques, contes…) ont évolué au fil du temps. Tout d’abord imprégnés du passé (Afrique et Arrière-Pays niçois confondus), ils puisent leur inspiration dans un sentiment d’exil et de perpétuelle rupture. Pour s’ancrer ensuite – ou s’encrer ? – dans le présent, ou tout au moins s’animer de souvenirs apaisés.