Béatrice de Jurquet, Possibles n° 31, avril 2018

Béatrice de Jurquet
La contemporaine pour ce numéro d’avril 2018

La poésie est l’expérience elle-même
Béatrice de Jurquet, Si quelqu’un écoute

Mon jour tranquille

Parce qu’il fait jour, je me suis mise à écrire.
Pour la même raison, le mot jour m’envahit,
comme une sorte d’ivresse bâtarde et sans objet
sans contour. Un mot qu’il faut soigner.
Le jour, parce qu’il ouvre les sens et l’esprit, est.
Au jour je suis, là, mais seul il est. J’appelle jour la ville,
les nuages derrière la vitre, ma chatte sur la planche
à repasser, les voix de la rue... Parce qu’il fait jour,
parce que plaisir et étonnement lui sont
intimement liés, la table sous ma main droite a
deux énormes fentes, travées de bois pleines
de poussières, de miettes, de poils de mes chats.
J’ai mon jour tranquille à moi, sans oubli
de ce qui fait rage au loin, tout près, là
(j’entrevois les atomes que nous sommes,
toutes les rages contre lesquelles on ne vaccine pas).
Jour, ce jour auquel je dois tout,
auquel je tiens, par la prunelle de mes yeux certes,
mais surtout comme un enfant tient dans des bras,
le fil tient l’araignée, la nuit tient au jour
(bien d’autres comparaisons sont possibles qui nous
tiennent debout, qui nous tiennent en vie en haleine),
ce jour pour lequel je vis, ce tout entier
monde fait pour lui, ma musique et mon dieu

Béatrice de Jurquet, Si quelqu’un écoute, La rumeur libre éditions, 2017

Béatrice de Jurquet, Si quelqu’un écoute II —>

Page précédente —  Imprimer cette page — Page suivante