- Menu Possibles, nouvelle série n° 35, août 2018
- Sommaire de ce n° 35, nouvelle série, août 2018
- Contemporain : Jean-Philippe Salabreuil, Petite
- Jean-Philippe Salabreuil, Sur un champ de ténèbres
- Jean-Philippe Salabreuil, La chambre à feu
- J.-P. Salabreuil par Jacques Réda et Isabelle Lévesque
- Découverte : Isabelle Lévesque, Ni loin ni plus jamais
- Invitée : Andrée Chedid, Textes pour un poème
- Frédéric Tison, Aphélie suivi de Noctifer, trois extraits
- Lecture de Le dernier bain, roman de Gwenaële Robert
- Tous les
sommaires
- Avis de parution n° 35 pour relai vers les amis
- Index des auteurs publiés dans Possibles
- [Pour la B.N.F] ISSN : 2431-3971
- Accès au n° 36 —> le 5 sept. 2018
Jean-Philippe Salabreuil
Le contemporain de ce numéro d’août 2018
Sur un champ de ténèbres
Cela commence et dans le même instant s’achève. Une plainte à petits coups d’oiseau timide égaré loin du monde. À genoux parmi l’herbe noire et fagotée de vieux pourpre c’est elle (notre maigre servante la sauvageonne dans l’ombre épaisse) et qui sans bruit murmure une prière. Un soir dur a tombé chaque journée depuis les âges au matin pauvre. Aujourd’hui plus lent et comme plus attentif il me découvre et je le découvre et nous allons vivre l’un en l’autre.
En cet endroit plus tourmenté le ciel a soulevé la corne de mon toit malade. Pour l’heure et dans le nord un nuage habité de lueurs dérive devant la nuit. L’on dirait du sein des brumes une demeure illuminée qui déambule à travers cette aride hauteur. Mais notre maison (la nôtre sur terre) est obscure et seule ouvre sa porte sur la profondeur éteinte. Alors que j’y pénètre une valise en chaque main j’entends la violente fille dans mon dos dressée qui se précipite et laque la graille et fuit sur le chemin.
Solitaire je n’ai plus de nom. Je veillerai sur mon champ de ténèbres ainsi qu’une montagne anonyme dans la neige des lampes. Un mauvais repas de viande blanche et de pain molli par le torrent charge la table tremblante. On me guettait et ne m’accueillit point. Folle journalière qui t’écartes mon âme est comme une robe plus chaude attisant la lanterne-pigeon de tes hanches. Puis cet oiseau qui de nouveau rappelle du fond des temps.Sous l’ombrage des salles je vis et m’éclaire pourtant. Cela n’inquiète pas la nuit. J’étais venu pour être seul. Mais j’attendais je ne sais quoi.
Jean-Philippe Salabreuil, Juste retour d’abîme, Gallimard, 1965