Jean-Philippe Salabreuil, Possibles n° 35, août 2018

Jean-Philippe Salabreuil
Le contemporain de ce numéro d’août 2018

Sur un champ de ténèbres

Cela commence et dans le même instant s’achève. Une plainte à petits coups d’oiseau timide égaré loin du monde. À genoux parmi l’herbe noire et fagotée de vieux pourpre c’est elle (notre maigre servante la sauvageonne dans l’ombre épaisse) et qui sans bruit murmure une prière. Un soir dur a tombé chaque journée depuis les âges au matin pauvre. Aujourd’hui plus lent et comme plus attentif il me découvre et je le découvre et nous allons vivre l’un en l’autre.
En cet endroit plus tourmenté le ciel a soulevé la corne de mon toit malade. Pour l’heure et dans le nord un nuage habité de lueurs dérive devant la nuit. L’on dirait du sein des brumes une demeure illuminée qui déambule à travers cette aride hauteur. Mais notre maison (la nôtre sur terre) est obscure et seule ouvre sa porte sur la profondeur éteinte. Alors que j’y pénètre une valise en chaque main j’entends la violente fille dans mon dos dressée qui se précipite et laque la graille et fuit sur le chemin.
Solitaire je n’ai plus de nom. Je veillerai sur mon champ de ténèbres ainsi qu’une montagne anonyme dans la neige des lampes. Un mauvais repas de viande blanche et de pain molli par le torrent charge la table tremblante. On me guettait et ne m’accueillit point. Folle journalière qui t’écartes mon âme est comme une robe plus chaude attisant la lanterne-pigeon de tes hanches. Puis cet oiseau qui de nouveau rappelle du fond des temps.Sous l’ombrage des salles je vis et m’éclaire pourtant. Cela n’inquiète pas la nuit. J’étais venu pour être seul. Mais j’attendais je ne sais quoi.

Jean-Philippe Salabreuil, Juste retour d’abîme, Gallimard, 1965


Jean-Philippe Salabreuil, La chambre à feu —>

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