Gérard Chaliand, Possibles n° 36, sept. 2018

Gérard Chaliand
Le contemporain de ce numéro de septembre 2018

Mon règne a commencé par

Mon règne a commencé par un immense hiver
Il y a si longtemps je m’en souviens à peine
des forêts immergées où se fige le cri
j’ai fui
mon corps obscurci de racines et ma peur de la nuit
Je dormais sous la roche
les épaules meurtries la poitrine de pierre
et ma peur de la nuit.

J’étais à Babylone en des temps moins anciens
j’ai transporté la terre des jardins suspendus
j’en ai bu la poussière j’en ai pesé la graine
et le couteau du temps me déchirait les yeux

Bête de somme
des temples et des colonnes
voleur du feu qui m’écartèle
j’ai été la risée parmi les jeux du cirque
la sueur et le sang
des corps pareils à des branches rompues.

j’ai dormi sous l’écorce du silence
au fil des nuits s’avivaient mes blessures
je ne connaissais rien des mots clairs
qui s’unissent aux veines
ni du vent de la mer
mon sang coulait épais comme l’oubli du monde.

Gérard Chaliand, La Marche têtue, Gallimard, 1959
repris in Feu nomade, Poésie/Gallimard, 2016
Cette mise en ligne n’aurait pas pu se faire sans l’accord de l’auteur

Gérard Chaliand, Autrefois, je saisissais du monde —>

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