- Menu Possibles, nouvelle série n° 36, sept. 2018
- Sommaire de ce n° 36, nouvelle série, sept. 2018
- Contemporain : Gérard Chaliand, Mon règne
- Gérard Chaliand, Autrefois, je saisissais du monde
- Gérard Chaliand, Chant VIII Les femmes
- Feu nomade de Gérard Chaliand lu par Pierre Perrin
- Découverte : Cécile Coulon, Tu es entrée dans ma vie
- Invitée : Murielle Compère-Demarcy, Laissez-moi regarder
- Jean-Marie Lienard, Fais-toi à une vie moins pleine
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- [Pour la B.N.F] ISSN : 2431-3971
- Attente —> accès au n° 37 —> le 5 oct. 2018
Gérard Chaliand
Le contemporain de ce numéro de septembre 2018
Chant VIII Les femmes
Elles ne dorment guère et chuchotent ensemble,
suspendues entre un passé de soumission,
et un avenir de servitude,
entre la fin du jour et le lendemain
où chaque aurore ramène le même labeur sans joie.
Puiser l’eau, chercher du bois, laver, tisser,
élever les enfants qui survivent,
travailler la terre ou repiquer le riz,
dans un temps immémorial et comme arrêté,
que les jours et les nuits ne peuvent mesurer.
Lorsque vieillies elles ont renoncé à l’espoir,
seuls les enfants de la lignée consolent
et font que le temps n’est pas qu’amertume.
Il faut user de violence,
pour contrôler cette engeance maléfique,
qui manipule, se joue des hommes, trompe
et dont le ventre, sans fond, happe comme un gouffre.
On craint ces créatures que l’on ne connaît pas,
leur sang impur dont on doit s’écarter,
réglé sur le temps de la lune et des marées.
Elles sont reliées à des forces cosmiques,
elles commercent avec les démons,
et provoquent le malheur.
Amantes ou guerrières, elles sont impitoyables.
On tue et on se tue pour elles,
à cause de leur ventre et de leurs yeux.
Le plus sûr est de coudre leurs lèvres.
Peut-être faudrait-il aussi coudre leur bouche,
porteuse du poison de la séduction et du mensonge.
On enfermait les femmes par jalousie,
pour transmettre, disait-on, sa postérité,
Elles enfantaient jusqu’à l’usure et la mort,
mais on les voulait à jamais prisonnières,
méprisant leur soumission feinte qui rend oblique
et prompte à tromper.
Sur la surface de la terre,
elles sont des proies pour le viol,
un butin de guerre,
presque toutes destinées à subir,
à vieillir, en se vengeant, sur des brus.
Elles adulent l’enfant mâle, le premier surtout,
dans l’espace étroit où elles règnent en maitresse du foyer,
tandis que les hommes parlent haut,
tranchent, frappent et dictent les codes,
puisqu’ils sont les guerriers,
dont l’injure suprême est d’être lâche comme une femme,
des chefs de clan,
ceux qui n’ont pas de fente entre les cuisses,
à préserver à tout prix,
espace de l’honneur de la famille,
jusqu’à l’union décidée par les Anciens,
vendant cette virginité pour une alliance,
et perpétuer ainsi la misère d’être.
Gérard Chaliand, Saga si lointaine, , repris in Feu nomade, Poésie/Gallimard, 2016
Cette mise en ligne n’aurait pas pu se faire sans l’accord de l’auteur