Murielle Compère-Demarcy, Possibles, n° 34, juillet 2018

Murielle Compère-Demarcy
L’invitée de longue date pour ce numéro de septembre 2018

Laissez-moi regarder

Murielle Compère-Demarcy

Laissez-moi regarder
ne serait-ce qu’un oiseau par jour
Traverser
les strates du ciel en looping, vols planés dans ma tête
Laissez-moi marcher
au milieu des labours
au milieu des champs de blé
jadis retournés par le labeur patient des hommes
aujourd’hui moissonnés, battus, intensément calculés
J’ai besoin de cette terre, de ses fertiles paysages
de ma Picardie natale
où vient l’émerveillement facile
après l’arrachement des herbes folles
l’oubli des cadences infernales
J’ai soif d’une terre sainement ensemencée
J’ai faim d’eau vive, de la cascade des mots
de leur torrent de mémoire, des cataractes de l’oubli
de l’appétit impatient de voir et revoir l’hirondelle
J’ai faim, j’ai soif de rivières
traversant le faux calme plat de mon ventre
de mes veines et l’imperméabilité des pierres
J’ai soif, j’ai faim du jaillissement de l’eau au frais des roches

Dans la forêt vierge de mes yeux
s’accorde l’éclatement des lianes pour monter plus haut
le soleil des glycines
Leurs signes sont un fanal
au lieu-dit des âmes dites fortes
Je goûte le monde dans ses glaïeuls ses épines sauvages
dans ses feux d’églantine ses orties
sur le bord des lèvres, sur le bout de la langue
presqu’île entre la lande et le ciel
chahutés par ses ailes d’orage
et le bleu des trouées d’air
Les pierres, vives, ruissellent
sur la peau de l’intime, sous l’écorce esseulée
qui craque, se déchire, se tend à rompre, se tord et craque encore
pour que s’arrachent des anneaux de l’âge
l’alliance de lumière
où perle la sève
danse, tressaille, trisse la véloce hirondelle
déployée de l’Obscur jusqu’au frémissement d’arbre
et d’étincelle des fenêtres
Laissez-moi regarder
ne serait-ce qu’un oiseau par jour

© Murielle Compère-Demarcy (M©Dem.), inédit

Poète invité : Jean-Marie Lienard —>

Murielle Compère-Demarcy est née dans l’Oise. Elle publie aussi sous le sigle de M©Dem. Poète, nouvelliste et critique littéraire, elle est présente sur Wikipedia. Parmi ses derniers ouvrages parus, on lira tout particulièrement L’Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, 112 pages, 8 €, septembre 2018. Un grand petit livre de poche nécessaire, ne serait-ce que pour le long poème en écho à La Prose du transsibérien de Cendras qu’elle a lu à ravir, à bouleverser, au festival de Montmeyan, début août.

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