Jean Diharsce, Possibles, n° 45, juin 2019

Jean Diharsce, Deux poèmes
Hier : L’invité de longue date pour ce numéro de juin 2019

C’est un soir de gribouille

Jean Diharsce

C’est un soir de gribouille. Tout le ciel est sinistre. D’autres, ailleurs, parlent de la mort imminente ou du désespoir d’être. Et j’entends tout cela du fond de mon histoire, du près de ma mémoire et de mes à peu près où j’ai mis tant de temps à me trouver entier sans dépendre de l’autre. Où je peux bien mourir puisque je sais où vivre et que je l’accomplis. Rien jamais idéal mais toujours au plus haut. Et je ne peux rien dire que la fureur de vivre, pour une heure ou un jour, rien qu’à aimer la vie et essayer encore. J’ai fait tant de chemins que je croyais superbes et qui n’étaient qu’impasses. Maintenant que je sais, que je me sais, je ne dis que de vivre, en fureur et en beau. Il est des temps superbes qui ne viennent qu’à soi et qu’on peut partager. Je le fais aujourd’hui, je le ferai demain, tant qu’il restera souffle. Vivre bordel vivre, nous sommes nés pour ça, nous sommes faits pour ça. Et il fera soleil. Et même à son coucher, il ne sait qu’être beau.

Jean Diharsce, Île en ailes, Jacques Flament alternative éditoriale, 2019

C’est donc cela aimer

Au bout de tant de temps et de vies, de corps, effleurés, un instant ou plus longtemps parfois, alors qu’on ne croit plus au réel de ce verbe (et le bonheur avec), se laisser envahir totalement par un autre qui vient vous habiter, vous complète et vous apporte enfin tout ce qu’il vous manquait, sans qu’il en soit prison ou même dépendance, et qui devient le plus, le seul mieux qu’il vous reste à partager peut-être.
C’est ce frisson qui vient au bout d’un doigt tendu et vous montre le vent qui prend juste une place entre un ciel qui se couche, rouge, et la nappe de brume en foulard sur la vague, de l’émotion, ensemble, sans cesse répétée, du beau en farandole partout où la vie lève, du rire des enfants qui se courent la main, au sanglot qui vous monte devant l’inadmissible, cette larme à sa joue qui vous fait différent. 
C’est ce mal qui vous prend, comme un sanglot en boule, quand la fête s’achève, pour repartir plus tard (peut-être, qui le sait ?), que vous gardez en vous quitte à s’en étouffer ce trop plein de désir de rester dans des bras, car vous savez déjà que les couleurs des jours qui demeureront belles, seront un peu moins vives et moins bien dessinées -vous les raconterez comme on fait un poème- ou qu’on entrouvre un livre.
Juste un rien qui fait vivre et qui n’est pas un mot lorsque vous le savez. C’est donc cela aimer.

Jean Diharsce, Île en ailes, Jacques Flament alternative éditoriale, 2019


Poète invitée: Anne Perrin —>

Jean Diharsce a publié Gavroche en politique, 2011, une biographie d’André Laignel aux éditions de l’aube, et un recueil, Catherine ou l’autre ce bonheur, éditions Saint Germain des Prés, 1974 [introuvable aujourd’hui].

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