Murielle Compère-Demarcy, in Possibles, n° 44, mai 2019

Murielle Compère-Demarcy
La page “invitation ” de Possibles, n° 44, mai 2019

Attention poésie fraîche traces indélébiles

Murielle Compère-Demarcy

Personne ne la comprenait, mais personne n’avait cherché à la comprendre. Sa présence traversait des paysages de transparence et des isolements, comme des zones de nuages passent sans qu’on s’en soucie vraiment, forment un jour, d’un corps, des blocs indivisibles de glace, sans que l’on sache comment. Le peigne des peupliers balançait dans les cheveux du vent. Des libellules moissonnaient la chevelure d’encre. Elle marchait dans le roncier des solitudes, comme on marche mal protégée sur des chardons ardents. Son cœur, auprès de l’églantier, s’enfonçait chaque jour sous les buissons de sa mémoire - des rêves de roses sauvages fichés d’épines noires. La nudité d’être, dans le dénuement de soi, dans le cœur fou et le corps condensé /ravagé du poème - lui fit un jour le signe du vrai visage. De sa lumière. D’une lumière-astre du Langage.

Murielle Compère-Demarcy, L’Oiseau invisible du Temps, éditions Henry, 2018

Notre-Dame-de-Paris

La flèche de Notre-Dame-de-Paris vient
de tomber notre cœur tombe à genoux
mes mains orantes pleurent des prières d’espoir
Feu arrête ta dévoration
La flèche de Notre-Dame-de-Paris vient
de tomber je m’arc-boute notre cœur s’arrache
de notre torse-cri emprisonné dans le feu de ses grotesques qui nous emporte dans l’avril noir
Ma charpente brûle mon corps est en flammes
Feu avale tes langues Arrête ta dévoration de cette Forêt éternelle Éteins ces hurlements de pierre qui brûlent les arbres de nos veines
Je tape du pied je perds souffle
Des volutes d’emblèmes et de rosaces
m’enserrent et m’étouffent
J’ai ce soir du 15 avril 2019 855 ans et mon cœur de chêne s’effondre sur lui-même
dans la hauteur dévorée de ses 96 mètres de haut
J’ai l’âme fauchée d’une cathédrale dans le froid de mes os
Feu quitte ce parvis
redonne colonne d’air à nos corps
La cathédrale de Notre-Dame-de-Paris de notre Ame
Mille ans de souvenirs sont morceaux incandescents
qui tombent sur nos têtes
La flèche de Notre-Dame-de-Paris est
tombée notre cœur tombe à genoux
en prières dans nos veines sans âge
Pierres de l’espoir luttez pour notre âme meurtrie !

Murielle Compère-Demarcy, le 15 avril 2019 peu après 19h

L’avis de Jean-Michel Delacomptée sur Le Modèle oublié —>

« Murielle Compère-Demarcy [présente dans le n° 36] s’échappe d’elle-même, douloureusement, pour accompagner « Saint Artaud » dans sa poétique fragile, délirante, monstrueuse, aiguisée, amoureuse. Artaud, un monument aérien visible dans l’invisible. Comment s’emparer de l’invisible ? Murielle Compère-Demarcy se livre, dans Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 éditions, 2019, cinquième opus de La diagonale de l’écrivain, à un exercice d’adoration, fascination : elle emprunte un parcours halluciné à la poésie rauque, profonde, parfois cérébrale, dévastée par l’enjeu. Mais poésie établie magistralement dans le mouvement enveloppant de cette « toile tendue sur le chevalet de l’âme » — sublime vers de sa composition, dont elle se vêt pour traverser la sidération Artaud. » Philippe Thireau [sur Fb, 18 avril 2019].

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