Lucien Becker, Possibles n° 44, mai 2019

Lucien Becker
Le contemporain de ce numéro de mai 2019

Je m’enfonce très fort les ongles

Je m’enfonce très fort les ongles dans la peau
pour me rappeler que je suis encore en vie
à l’heure où mes doigts craignent de se refermer
sur des os prêts à jouer le jeu de la mort

Que me reste-t-il de quarante ans de regards,
sinon le souvenir de deux ou trois couchants
au-dessus de soirs presque sans date ni lieu,
de blés marchant la tête haute vers la nuit ?

Le soleil fait semblant de ne pouvoir sortir
d’un filet d’eau traversant pierres et chemins
ou des yeux d’une amoureuse pour qui se lève
le jour irremplaçable d’un visage d’homme.

Elle avance sans savoir que les murs s’éclairent
à l’approche d’un corps aussi bouleversant
que celui d’un navire en route vers la terre,
foudre vivante à quoi se brûle l’horizon.

La lumière éparse n’a plus d’autre support
qu’une main tendue venant tout droit de la nuit
et par laquelle ma chair rayonne et s’étend
très loin de ce point trop gris qu’est toujours le cœur.

Lucien Becker, L’Été sans fin, 1961, repris dans Rien que l’amour, 1997
Poésies complètes La Table Ronde, [en Petite Vermillon, 2006 et 2019]


Lucien Becker, Une présentation du poète —>

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