Alain Cadéo, Possibles, n° 48, septembre 2019

Alain Cadéo, Des mots de contrebande
Hier : L’invité de longue date pour ce numéro de septembre 2019

Remède de cheval

Alain Cadéo

Pour diluer l’affreuse aigreur et l’amertume de nos doutes : arracher avec les incisives de l’âme des lambeaux de lumière. Broyer avec les molaires du cœur les chardons de nos vies, figues de barbarie, les ronces, l’acacia, l’églantier, l’aubépine. Mâcher et ruminer tout ça dans nos vergers abandonnés en fredonnant nos cavatines. En faire ce bon jus vert-émeraude, bleu et doré, fermentations, belle salive de couleur titillant nos papilles, hydromel, antidote, élixir d’arc-en-ciel.
À avaler d’un trait et toutes dents dehors, comme un cheval qui ressuscite.

Barbelés

Curieux comme les mots peuvent aussi être les barbelés de l’âme... Tout son visage dément ce que sa bouche prononce…

Insaisissable vérité

Sans ceux qui m’accompagnent, vivants et morts, pleine chair et regards de tendresse et les esprits imaginés, ressuscités, aux ailes flamboyantes, je ne suis rien.
Tout est si flou, fluide, évanescent. La Vérité, s’il y en a une, est une insaisissable truite dont les reflets font vibrer les pierres des rivières. Et puis tout disparaît… et il ne reste que le courant glacé des jours paralysant nos mains vides et bleues.
Il est si bon alors, transi de froid, un peu honteux, bredouille, de retourner dans nos cavernes où toujours chante le feu, claquent les braises entretenues par quelques âmes aimantes, indéfectiblement.

Alain Cadéo, Des mots de contrebande, éd. La Trace, 2018

Poète invitée: Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès —>

Alain Cadéo est né en 1951. Il a publié plusieurs romans dont Zoé au Mercure de France en 2015. Le recueil dont ces trois fragments sont extraits pourrait être placé sous cet exergue : « l’écriture est un luxe volé au temps ». Il offre des vues éclectiques, des « radotages de bègue », quelques aphorismes.

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