Jean-François Dubois, Possibles n° 48, septembre 2019

Jean-François Dubois, Le Cœur de faïence
Le contemporain de ce numéro de septembre 2019

Nuit du 20 au 21 mars

Sa dernière nuit de ce côté. Admette qui pourra, nous ne l’avons pas passée en veille et prière à son chevet. Près de lui pourtant, dans la pièce où il est étendu. Mais dormant près de lui, comme de conserve, sinon aussi profondément. La veilleuse l’éclaire, témoignant cruellement qu’il ne bouge plus. Nous, sur des lits de camp, luttant de vestes de laine, de lourdes couvertures pliées en deux épaisseurs, de descentes de lit bien isolantes, contre la froidure qui règne depuis hier en souveraine extraordinaire dans la chambre.
Je pense au jeu qu’il avait inventé pour mon usage de gosse, l’embuscade  : souvenir des exploits maquisards, qui consistait à se vautrer dans l’obscurité sur le lit des parents. Par l’entrebâillement de la porte, la lumière de l’escalier marquait le point d’où devait surgir le convoi ennemi. Il me fallut quelque temps pour admettre que le guet se convertissait très vite en demi-roupillon caractérisé, synonyme pour ma jeune intransigeance du plus inexcusable abandon de poste !
Eh bien, cette nuit dans notre gourbi pour francs-tireurs perdus de la mort, j’y retrouve un peu de mes impressions d’enfant. Il me paraît que nous sommes, mon frère et moi, comme deux grands gamins courbatus jouant avec leur père, dans ces grandes vacances éternelles de la nostalgie.
Nous tendons l’embuscade.
Hélas, le convoi est bien passé.

Jean-François Dubois, Le Cœur de faïence, Le Dé bleu, 1986


Jean-François Dubois, Le plus bel arbre —>

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