Jean-François Dubois, Possibles n° 48, septembre 2019

Jean-François Dubois, Le Cœur de faïence
Le contemporain de ce numéro de septembre 2019

Le plus bel arbre

Bel arbre cher pommier de mon enfance
vieux compagnon tu vas encore une saison
t’enorgueillir d’autant de fruits peut-être
qu’il y a de jours tombés de mes années

On va marcher dans ta provende, on va fouler
la vendange de tes pommes accrochées comme des grappes
qui tombent d’abondance dans l’ombre que tu crées
au pied de ce haut tronc vermoulu jusqu’au cœur

Voici un nouveau printemps où tu nous régales encore
de cette floraison rose et blanc qui réjouit d’abord l’œil
Et dire qu’il était question naguère de t’abattre
à cause des gros vers blancs qui t’ont squattérisé…

J’ai redouté – c’est une superstition dont je m’honore –
que ta chute la précédant n’entraînât aussi la mort
de l’autre vieillard de ce jardin. J’ai vu
dans ta déchéance un présage mauvais qui le menaçait lui

Je me suis réjoui filialement des mois qui s’amoncelaient
sur le projet. L’hiver a passé, puis le dernier jour
avant le printemps papa nous a quittés (on dit  : s’est éteint)
et c’est toi qui lui survis debout lumineux dans le temps…

Maintenant plus que jamais je vous unis dans ma pensée
l’arbre, l’homme, lui et toi que la même tronçonneuse
aura fini par trancher, tous deux plongés dans la terre maternelle
le corps se résolvant dans la même poussière de molécules

Mais plus que ce juste tribut rendu à la matière
qui fait que rien ne disparaît exactement mais se restitue
(je songe aussi à une boule d’argile qu’un certain potier
travaille éternellement sur son tour, c’est la chair de notre monde),

croire à l’autre survivance, à cette renaissance, à ce printemps qui est la floraison de l’âme
Oh célébrer ce fût de tendresse jailli sur le terreau de notre chagrin
cette ramure qu’habillent les frondaisons de la reconnaissance
ces pommes du souvenir qui allument en nous le plus bel arbre –

Jean-François Dubois, Le Cœur de faïence, Le Dé bleu, 1986


Jean-François Dubois, Ces vendredis où nous faisions —>

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