Kate Detraz in Possibles n° 48, septembre 2019

Kate Detraz
La “découverte” de Possibles, n° 48, septembre 2019

Kate Detraz

En rentrant, je me suis arrêtée dans ce virage, Notre virage. Malgré l’heure tardive, je n’avais pas envie de rentrer.
J’avais envie de rester sur cette terre, celle où tu es né, ta terre, et ne pas franchir la frontière. Pas encore.
Je me suis garée dans Notre virage. Je suis descendue de la voiture.
Je me suis allongée, nue, dans Notre sous bois. Il s’est mis à pleuvoir une petite pluie fine d’été. Il fait très noir. Aucune lumière, même pas la lune. J’ai un peu peur et un peu froid mais je m’en foutais. J’ai respiré, à m’écarteler les poumons, cette odeur d’humus humide.
J’ai voulu éprouver le sang dans mes veines, sentir taper mon cœur dans ma poitrine, être sûre que je suis vivante, pas à moitié survivante.
J’ai léché, nue, mes doigts encore rempli de l’odeur de ton sexe chaud.
J’ai respiré, nue, ma peau, partout où j’ai senti des traces de toi.
J’ai dansé, nue, sous la pluie pour garder quelque chose de toi, de nous, de cette folie. Ancrer la preuve que ça a existé. Vraiment
J’ai crié, nue, sous la pluie, répondant au cerf qui bramait.
Je t’ai encore désiré, nue, sous la pluie, à l’infini de nos corps trop petits pour contenir nos explosions.
J’ai joui encore, nue sur ce lit de feuille, sous les arbres, pour toi, pour nous et pour ce qui nous traverse, infiniment.
J’ai repris la route, nue, encore, pour sentir frissonner ma peau dans l’air frais de cette nuit d’automne.
J’ai voulu tatouer sur mon corps de nos sangs en fusion.

Kate Detraz, sur Le Livre des visages, le 25 septembre 2018

Hier : Alain Cadeo, Des mots de contrebande —>

Je ne sais rien d’elle, hormis ces textes à fleur de peau qu’elle publie sur Le Livre des visages et que l’ami Gilles Compagnon aime à partager. J’ai trouvé les versets ci-dessus très réussis et la photo que je me permets de reprendre aussi peu culottée que fort appropriée.

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