- Menu Possibles, nouvelle série n° 48, sept. 2019
- Sommaire de ce n° 48, nouvelle série, sept 2019
- Contemporain : Jean-François Dubois, Nuit du 20 au 21 mars
- Jean-François Dubois, Le plus bel arbre
- Jean-François Dubois, Ces vendredis où nous faisions
- Découverte : Kate Detraz, À fleur de peau
- Hier : Alain Cadéo, Des mots de contrebande
- Invitée : Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès
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Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès
La page “invitation ” de Possibles, n° 48, septembre 2019
Que s’était-il passé
Que s’était-il passé pour que soit devenue criminelle toute marque d’affection et qu’une simple étreinte provoque un gémissement de douleur ?
On vivait en groupe, dans l’agitation des tâches quotidiennes, parmi de grandes salles basses, aux angles droits, aux murs gris et nus, et quand s’ouvrait la porte, c’était pour y pousser le corps tuméfié de l’inoffensif qu’on avait surpris en infraction de la froideur réglementaire. Il finissait d’agoniser au milieu de la compagnie, satisfaite.
Une enfant avait assisté à la scène, étonnée par cette plainte. Elle restait là, figée, glacée, incapable de dire mot. Incapable plus encore de se rappeler ce qui avait tué en elle, à son insu, l’énergie du désir. Elle restait là, enfermée dans ces grands bâtiments désaffectés. Qui lui donnerait jamais assez d’amour et de force pour résister à leur tristesse ?
– Il arrive que les mots permettent de construire des demeures – demeures de mots animées par la joie, éclairées par l’être, ouvertes à l’esprit, qui abritent la vie nécessaire à la plénitude recherchée.
Non, je n’ai pas vu ta mère

Non, je n’ai pas vu ta mère, je ne sais pas
où elle est, ce qu’elle devient.
J’invoque, pour te rassurer, son caractère
indépendant mais tu secoues la tête,
ta main tire un trait net, signe d’une rupture.
L’oubli n’a effacé que sa mort. Ton amour
pour elle, que plus rien ne distrait, fait de toi
en dépit des années et du grand âge
une enfant livrée à l’abandon – une enfant
docile, aux gestes appliqués, et j’ai pour toi
qui m’as portée l’élan d’une mère acharnée
à sauver tout ce qui peut l’être – jusqu’au bout.
C’en est fini du temps
C’en est fini du temps où je nageais dans la lumière vers le large et que soudain se dressait devant moi, aveuglante, une cloison de bois.
J’ai découvert que l’île était surmontée d’une acropole. Par son architecture de pierre, il me faut gagner, dans les profondeurs d’une imposante bâtisse, la chambre qui est mienne.
Elle m’a paru très étroite et, malgré son confort, d’une propreté douteuse ; j’ai rejoint la rue tout en escaliers, l’ombre s’épaississait. Avant d’en avoir atteint le haut, il me fallut redescendre en hâte, frôlée dans le noir par d’incertaines menaces.
Au retour, le corridor était si bas qu’on ne pouvait y tenir debout. Soulagement de découvrir un plafond à claire-voie, fait de morceaux de toile qui se soulèvent à mon passage, ménageant la progression jusqu’au cœur.
Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur, L’herbe qui tremble, 2018
Béatrice Marchal a passé sa jeunesse dans les Vosges où, de Paris, elle revient régulièrement. Elle publie depuis 2007. Derniers ouvrages de poésie parus à L’herbe qui tremble : Résolution des rêves, 2016 ; Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur, 2018. Au pied de la cascade, qui vient de paraître, rend un très bel hommage à la mère disparue : « De quels vieux très vieux chagrins te déchargent / ces soupirs ces sanglots qui secouent ton sommeil, / de quelle inconsolable inconsolée douleur, / ma gisante aux mains jointes // le combat est fini, ta vie s’éteint »… — Ses recherches sur la poète Cécile Sauvage, mère d’Olivier Messiaen, ont sensiblement corrigé l’image de cette femme et de son œuvre. Après la préface pour Richard Rognet en Poésie/Gallimard, 2015, elle vient de publier Richard Rognet ou Un ailleurs qui veut vivre toujours à L’herbe qui tremble, 2018. Elle est présidente du Cercle Aliénor depuis janvier 2013.