Béatrice Douvre, Possibles n° 51, décembre 2019

Béatrice Douvre, Journal de Belfort
La contemporaine de ce numéro de novembre 2019

Belfort, le 4 mars 1994 [extrait]

J’ai des sentiers de vent sur le visage, des rougeurs lorsque j’adore, me pénètrent des gestes d’ignorance et de bonté. Quelquefois j’agonise d’espérance, je guette la peur des membres froids. Folie de la détresse, extrémité du rire, je suis masquée. J’ignore mes combes malheureuses, mes entrailles fleuries. Un monde me détient comme la griffe à la proie facile, agneau innocent sur la paille sanglante. Quelqu’un porte mes pas, car je n’ai pas de preuve, le sable est insouillé quand la mer se retire. L’oiseau permet le vent de sa fugue rapide. J’entends des orchestres rêver, des symphonies se taire, des voix sombrer. J’ai l’âge transparent d’achever mon néant. La jeune fille redevient. Je n’ai pas d’avenir, les rues pâles où les bruits roulent comme des cerceaux de vent sonore. J’ai le mystère du mal-aimé, le sexe fauché par la pudeur. Je porte en moi l’éclair noir d’exister au fond de la folie des ventres humectés. Son jet me rassure comme une mort apprise.
Je me souviens d’une bouche réelle et je pleure dans la ville, la parole arrêtée à deux pierres de la source.
Quitter le creux du cœur et mourir à Paris. Quitter le séjour, la caresse pour la joie qui souffre, et Mère aimante.
Je veux le ciel aux nuages perlés et le carreau barré, la paroi blanche où crie le jour. J’ai l’immobilité des cadavres frais et la verdeur aiguë des caveaux pleins. J’achève une parole brisée par le linceul, un cri de sueur, un sang craché, un dernier rire dans la bouche des morts.

Béatrice Douvre, Journal de Belfort, éditions La Coopérative, 2019, 192 pages, 20€


Béatrice Douvre, Journal de Belfort, extrait II —>

« Le côtoiement de la mort provoque une écriture morbide, au sens propre. Béatrice Douvre vit éclatée dans différentes villes : Belfort, Paris, Toulouse, Caussade, Cahors. Son seul territoire est son corps, qui s’allège dans un vertige insensé, un corps comme exclu de sa matière. Un corps exilé de lui-même, qui ne trouve unité en lui que dans la blessure du désir, une fringale de flirt tournée vers mourir, un Éros dans un corps indéfini, un peu femme, physiquement un peu bisexué. Le tout faisant poésie. » — Didier Ayres, Faim du désir, désir de fin, in revue Traversées


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