- Menu Possibles, nouvelle série n° 51, déc. 2019
- Sommaire de ce n° 51, nouvelle série, décembre 2019
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Béatrice Douvre, Journal de Belfort
La contemporaine de ce numéro de novembre 2019
Paris, 24 mars 1994, extrait
Regarde-moi pleurer, marcher aux herbes mortelles, sans nom ni visage. Je bois l’âcreté, je baigne un paysage funeste. Noire est la vie, ses avenues bétonnées, ses trottoirs flanqués où nous cheminons sans rien se dire, sinon des choses mortelles. Je te voudrais brûlant pour ma fissure. Je te voudrais sanglant pour ma plaie verte. Peut-être me suis-je trompée d’amour, peut-être ai-je traîné mes routes au Sud. Peut-être ma folie est-elle morte avec moi. Je me vautre au suaire de ma sépulture, embaumé de parfum et d’urine et de sueur. J’offre à quelqu’un mon corps délaissé, au manquant, au maudit, au vaurien, au dieu des bouges anciens. Je ne suis plus au monde. Mes pleurs gouvernent mon néant. Je pars aux pays de neige, fendre le froid qui me maintient. Mes seins de glace que rien ne réchauffe, mes cuisses fermées aux dents de l’amour, je me vêts pour le séduire, il me regarde comme une statue pure du péché de chair, pure de non-vouloir. Je me tais pour un siècle à venir, pour la souffrance aiguë qui perce aux entrailles et coule aux pieds de plaie mauve. Geste nu, effroi de prendre, d’anéantir ma vie, complicité avec la mort simple car je suis déjà morte au Réel. J’ai la réminiscence d’un bonheur à jamais préhensible. L’astre m’appelle, le monde est illuné, je vais aux rêveries, je veux la solitude pour épandre le pleur qui me coule, intérieur. Ma voix est de nul chant, l’ange ne me fait pas de promesse, ma peau tremble tant le vide est autour. Je caresse un rocher de chair en hurlant sur la mer.
Cimetière, retenez vos fleurs apatrides pour ma tombe incertaine.
Béatrice Douvre, Journal de Belfort, éditions La Coopérative, 2019, 192 pages, 20€
Béatrice Douvre, Journal de Belfort, extrait III —>
« On ne sait rien de ce qui, en 1993, un an avant sa mort (à 27 ans), lui fait abandonner le vers pour se lancer dans ce court recueil de prose poétique, où, contre toute attente, cette parole si frêle touche à sa pleine mesure dans sa forme ouverte, dégagée. À partir du Journal de Belfort, la parole se libère, les phrases s’allongent, et Béatrice Douvre d’écrire sa Saison. Non pas que je veuille par-là comparer ce qui ne peut l’être ; mais on retrouve dans le Journal de Belfort la même liberté, la même profusion, la même allégresse de ton, d’image, de style que chez le Rimbaud d’Une Saison en enfer. » — Germain Tramier, note sur Sitaudis.fr.