Ilarie Voronca, Possibles, n° 51, décembre 2019

Ilarie Voronca, L’apprenti fantôme
Hier : L’invitée de longue date pour ce numéro de décembre 2019

Une lumière qui avance

Ilarie Voronca

Une lumière qui avance lentement comme l’eau
Dans un morceau de sucre. Une lumière
Qui me découvre peu à peu. Ai-je une bouche
Comme les gens d’ici ? Des bras, des jambes ? Quel miroir
Me rendra soudain à moi-même ? Quelle baguette
Magique, me fera redevenir semblable
À ceux qui m’ont fermé leur porte ? Et je tournais
Autour de leur maison comme un vent fou de désespoir
Ah Est-il merveille plus grande que ces yeux
Qui relient la face à l’univers qui l’entoure ?
Ils savent percer le lointain mais aussi comme une feuille
Ô la pluie pénètre ils savent retenir d’énormes visions.
Et l’oreille qu’émeut la voix de l’ami ou le grondement
Du tonnerre ? Et les mains qui pétrissent le pain ?
Et les pieds qui, soumis, silencieux comme deux chiens,
Conduisent l’homme sur les traces de la lumière ?
Hommes et femmes qui êtes d’ici et qui savez
Reconnaître chaque pierre et qui vous appelez
Avec des noms pleins jusqu’au bord de souvenirs.
Puis-je apprendre vos jeux, puis-je vous dire,
Quelle joie est la vôtre: le matin au réveil
Vos doigts qui retrouvent comme un clavier le monde
Le soleil du parler rayonne dans vos bouches
Chaque mot est aimé par vos pères et vos enfants.

Ilarie Voronca, L’apprenti fantôme, Presses du Hibou, 1938. Réédition L’Arbre, 1992


Poètes invitées: Claire Krähenbühl et Denise Mützenberg —>

Ilarie Voronca [1903-1946] a fait l’objet d’un bel article d’Yves Martin pour accompagner la réédition de Patmos au Pont de l’Épée, 1977. L’an dernier, Petre Raileanu et Christophe Dauphin ont fait paraître Journal inédit, suivi de Beauté de ce monde, poèmes 1940-1946 aux éditions Les Hommes sans épaules, 350 pages, 20 €.


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