Chantal Dupuy-Dunier, Possibles, n° 52, janvier 2020

Chantal Dupuy-Dunier, Cathédrale
Hier : L’invitée de longue date pour ce numéro de janvier 2020

Préambule

Chantal Dupuy

Une athée, écrire Cathédrale ?
J’ai été croyante. À l’âge de dix ans, j’ai même connu une période mystique. L’excès a vite laissé place à une foi moins exaltée. Vers vingt-cinq ans, je suis devenue incroyante, assumant la liberté comme l’inconfort de cette position.
Mais, chaque fois que je découvre l’architecture d’une cathédrale, je demeure saisie d’admiration pour ses bâtisseurs. Quelque chose, qui est indépendant du fait religieux, me fascine, me baigne, me parle. Je sais le passage sous l’édifice de cours d’eau semblables au langage poétique, de lignes de forces agissantes à l’image de la poésie. Je sais les bâtiments érigés sur les vestiges d’autres bâtiments, dans un lieu identique, souvent sacré bien avant Jésus-Christ. Je sais l’âge des pierres, leurs vies successives.
Ce recueil se veut un édifice bâti à l’emplacement du lieu universel de la poésie, sur les traces laissées par les autres poètes et leurs œuvres. Une langue évolue, quelques siècles plus tard on ne parvient plus à la comprendre. Toutefois des poètes lisent les précédents, écrivent à leur tour. C’est Babel, c’est une pyramide, c’est une cathédrale. Tout un langage souterrain alimente la poésie actuelle, il en a été ainsi de tout temps. En outre, mythes et histoire coexistent dans les cathédrales, ce qui les rapproche encore davantage de l’imaginaire poétique.
La cathédrale était, avant l’invention de l’imprimerie, un grand livre de pierre dont sculptures et vitraux étaient les textes. Aujourd’hui nous assistons à une nouvelle révolution technologique, nous sommes entrés dans l’ère du numérique.
Que dirait Victor Hugo qui écrivait, dans Notre-Dame de Paris : « Quand on compare la pensée obligée pour se traduire en un édifice de mettre en mouvement quatre ou cinq autres arts et des tonnes d’or, toute une montagne de pierres, toute une forêt de charpentes, tout un peuple d’ouvriers, quand on la compare à la pensée qui se fait livre, et à qui il suffit d’un peu de papier, d’un peu d’encre et d’une plume, comment s’étonner que l’intelligence humaine ait quitté l’architecture pour l’imprimerie ? »
Dans le nouveau contexte numérique, Cathédrale se veut un livre de papier encore « bâti à l’ancienne ». On ne s’étonnera pas de retrouver, dans ce chantier d’écriture, parmi les engins de levage, quelques grues.
Si j’étais née, si j’avais grandi dans une autre culture, j’aurais écrit « Mosquée », « Synagogue », ou « Temple bouddhiste ». Des édifices comme Sainte-Sophie d’Istanbul (qui fut une église), la Synagogue de Jéricho, le Temple de la Montagne parfumée creusé dans le rocher, pourraient assumer le même rôle, porter une symbolique analogue.
Quoi de plus poignant que les utopies des hommes ? Les croyants de toutes religions pensent qu’après l’inconcevable réalité de la mort, ils vivront réincarnés ou ressuscités. Les poètes s’imaginent naïvement que leurs écrits leur assureront l’immortalité.
Cependant l’élan demeure, la volonté présente en certains hommes de transcender l’humain. On nomme ces hommes, qui se sont mis au service du Verbe, des bâtisseurs de cathédrales ou des poètes.

Chantal Dupuy-Dunier, Cathédrale, éditions Pétra, 2019, 314 pages, 20 €

Poète invitée : Brigitte Maillard, Il y a un chemin —>

Chantal Dupuy-Dunier a publié une vingtaine de recueils. Elle offre avec Cathédrale un fort volume : 314 pages. Pour l’ambition du sujet, la composition générale (en trois parties), on peut penser à Pierre Emmanuel, Sophia, Seuil, 1973, 432 pages. « Recueil vertical, / poème dressé au-dessus du langage ordinaire, / que je tente de traduire », voilà pour l’attitude. On lira une note de Jacques Morin reprise de la revue Décharge sur le site de l’autrice. Son site est riche et mérite un génreux détour.

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