Pierre Perrin lit La Panthère des neiges de Sylvain Tesson, Possibles n° 52, janvier 2020

Sylvain Tesson, La Panthère des neiges
Lecture par Pierre Perrin pour ce numéro de janvier 2020

Philippe Tesson

En une vingtaine d’années et autant de titres, la plupart repris en poche, Sylvain Tesson s’est fait un nom d’écrivain. Le présent livre, La Panthère des neiges, caracole en tête des ventes ; tant mieux. L’auteur est sympathique, sauf peut-être à ceux qui ne goûtent que leur ombre. D’éventuels aboyeurs peuvent méditer cet aphorisme à deux coups [page 144] : « L’homme se préoccupe de l’homme. L’humanisme est un syndicalisme comme un autre. » Voilà pour l’audace d’être libre. Cela n’a pas empêché Sylvain Tesson de se voir attribuer le prix Renaudot du roman. Ses sujets sont-ils dans l’air du temps ? Ne serait-ce pas plutôt lui qui contribue par ses livres à susciter le respect contre la destruction égoïste ? Tesson va plus loin que la conjoncture à laquelle se bornent les médias, parce que c’est leur nature. Il plaide pour une existence moins fallacieuse, plus intérieure. Il ne pose pas au gourou. Il marche et son chemin attire l’attention. Son style est d’accès direct sans jamais être simpliste. Sa plume électronique marrie la narration – aventure et description de qualité –, la réflexion et ménage des archipels de poésie, ce qui devient rare. La Panthère des neiges est un bonheur.
Jules Renard consignait dans son Journal, le 21 mai 1898 : « Bêtise humaine : “Humaine” est de trop : il n’y a que les hommes qui soient bêtes ». Chez Sylvain Tesson, l’attention portée aux bêtes apparaît dès l’avant-propos. Il révèle que son patronyme « signifiait blaireau en vieux français ». Il rappelle comment le bipède traitait le « tesson » jusqu’à nos jours : « Haï dans les campagnes et irrépressiblement détruit, on l’accusait de fouir le sol, de percer les haies. On l’enfumait, on le crevait. […] Il sortait de ses retraites à la nuit pour rentrer à l’aube. Comment l’homme aurait-il supporté un totem de la discrétion érigeant la distance en vertu et se faisant un honneur du silence ? » Si Tesson porte attention aux bêtes, c’est pour mieux lever le loup de la férocité humaine : « Dans les îles vierges du XVIIIe siècle, les bêtes sauvages venaient manger dans la main des premiers explorateurs, avant de recevoir un coup de mousquet en guise de célébration de la rencontre avec l’homme » écrit-il, page 25 de Sur les chemins noirs, 2016, Folio. Il réitère l’idée dans Une très légère oscillation, journal 2014-2017, Les Équateurs, 2017, Pocket page 159 : « Un chevreuil a traversé un chenal […] Les hommes au lieu de le décorer et de lui ériger une statue, lui ont flanqué un coup de fusil ». Cette constante est déjà la marque d’un écrivain. Qu’avec La Panthère des neiges Sylvain Tesson élève l’attention à la hauteur d’un hymne me ravit.
Le sujet du présent livre tient en deux lignes lumineuses. « Les bêtes surgissent sans prémices puis s’évanouissent sans espoir qu’on les retrouve. Il faut bénir leur vision éphémère, la vénérer comme une offrande. » Au verbe « vénérer » le lecteur attentif lève une paupière. Il fait bien ; Tesson précise au paragraphe suivant : « les bêtes sont des dieux déjà apparus. Rien ne conteste leur existence » ; il disait déjà sur la page précédente : « les dieux – le nom poli du hasard ». On le voit, Tesson se hausse à la limite du conte. Parlant des bêtes, c’est à l’homme qu’il s’adresse. C’est la civilisation qu’il prend dans sa mire. Le Loup et le Chien de La Fontaine paraît en filigrane. « Que choisir ? Vivre maigre sous les voies lactées ou ruminer au chaud dans la moiteur de ses semblables ? » Faut-il préférer « la tourmente à la torpeur » questionne-t-il ailleurs. C’est vrai qu’il porte sur notre dernière révolution, celle de l’électronique, un regard noir. Dans Une très légère oscillation, il la qualifie de « crise d’épilepsie mondiale » et il stigmatise internet par ce parallélisme : « au commencement était le verbe. À la fin, le blog ».
Cette vision du monde acérée et généreuse à la fois affleure à de nombreuses reprises dans La Panthère des neiges. « Les trois instances – foi révolutionnaire, espérance messianique, arraisonnement technologique – cachaient derrière le discours du salut une indifférence profonde au présent. Pire ! elles nous épargnaient de nous conduire noblement. » On le voit : Sylvain Tesson invite à prendre du champ, à réfléchir, à aimer, à respecter, toutes inclinaisons qui ne peuvent qu’améliorer la situation de la planète et la vie de chacun. « J’ai appris que la patience était une vertu suprême, la plus élégante, la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de le transformer. » — Je vous souhaite une agréable lecture. Vous la vivrez ponctuée de sourires, de plaisirs d’admiration et d’émotions. Bonne année à chacun. [Cette note est en partage avec le site du Frais Regard]

Pierre Perrin, Lecture de La Panthère des neiges, Gallimard, 2019, 176 pages, 18 €, ce 5 janvier 2020


Découverte : Philippe Colmant, Le silex des jours —>

Page précédente —  Imprimer cette page — Page suivante