- Menu Possibles, nouvelle série n° 52, janvier 2020
- Sommaire de ce n° 52, nouvelle série, janvier 2020
- Contemporain : Sylvain Tesson, La Panthère des neiges
- Sylvain Tesson, La Panthère des neiges extrait II
- Sylvain Tesson, La Panthère des neiges extrait III
- Lecture de La Panthère des neiges par Pierre Perrin
- Découverte : Philippe Colmant, Le silex des jours
- Hier : Chantal Dupuy-Dunier, Cathédrale, extrait
- Invitée : Brigitte Maillard, Il y a un chemin, extrait
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sommaires
- Avis de parution n° 52 pour relais vers les amis
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- [Pour la B.N.F] ISSN : 2431-3971
- Attente —> accès au n° 53 —> le 5 février 2020
Sylvain Tesson, La Panthère des neiges
Le contemporain de ce numéro de janvier 2020
Extrait III
Les vautours se relayaient, sentinelles du requiem. Les crêtes recevaient le jour en premier. Un faucon aspergeait le vallon de sa bénédiction. Le tour de garde des oiseaux charognards m’hypnotisait. Ils veillaient à ce que tout se passât bien sur Terre : c’est-à-dire à ce que la mort emporte son lot de bêtes et pourvoie les rations. En bas, sur les pentes rapides qui biseautaient la gorge, les yacks broutaient. Couché dans l’herbe, à l’affût calme et froid, Léo surveillait chaque rocher à la lunette. J’étais moins minutieux. La patience a ses limites et les miennes s’arrêtaient au vallon. J’attribuais à chacun des animaux une place sur l’échelle sociale du royaume. La panthère était la régente et son invisibilité confirmait son statut. Elle régnait et n’avait donc pas besoin de se montrer. Les loups vaquaient en princes félons, les yacks faisaient de gros bourgeois chaudement vêtus, les lynx des mousquetaires, les renards des hobereaux de province tandis que les chèvres bleues et les ânes incarnaient le peuple. Les rapaces, eux, symbolisaient les prêtres, maîtres du ciel et de la mort, ambigus. Ces ecclésiastiques à livrée de plumes n’étaient pas contre que quelque chose tournât mal pour nous.
Le canyon serpentait entre des tourelles percées de grottes, des arches crevées d’ombre. Le paysage s’argentait au soleil. Pas un arbre, pas une prairie. Pour la douceur, toujours perdre de l’altitude.
Les crêtes n’arrêtaient jamais le vent. Les rafales disposaient les nuages et régissaient des éclairages albuminés. C’était un décor pour Louis II de Bavière peint par un graveur chinois, amateur de fantômes. Chèvres bleues et renards d’or glissaient sur les pentes, traversaient les brumes, parachevant la composition. Toiles composées, il y a des millions d’années, par les efforts de la tectonique, de la biologie et de la destruction.
Sylvain Tesson, La Panthère des neiges, Gallimard, 2019, 176 pages, 18 € [extrait, p. 99 à 101]
Les extraits ont été aimablement frappés par Henri-Pierre Rodriguez. Qu’il en soit ici remercié.