Thierry Mathiasin, in Possibles, n° 56, mai 2020

Thierry Mathiasin
La page “invitation” de Possibles, n° 56, mai 2020

Mathiasin par Élisabeth Circom

Toutes ces ombres qui marchent sur les murs, emboîtant le pas des lumières furtives
Un théâtre d’avatars échoués, jouant de la vraisemblance plus que de l’appartenance
Une animation saugrenue suspendue à des fils invisibles
On me dira que les cloisons affichent leur feuilleton du soir
Que les pupilles n’ont plus de place pour les étoiles
Que les corps ont la rigidité des murs dans l’étreinte glacée des écrans
Quel diable de metteur en scène avait bien pu imaginer ce spectacle bancal
Des lits qui ressemblent plus à des cercueils où seul l’amour pourrait encore s’émouvoir
Une cohabitation de fluides qui sauvent une relation pour s’accrocher à la vocation d’habiter
Quand certains arrachent à la nuit des brûlures vitales
D’autres, à court de mots, ne peuvent ruminer et s’endormir qu’à côté de visages tuméfiés
Des histoires aux vis-à-vis implacables dans la méconnaissance totale de leur fin
À se demander si d’habitude on était imprégné de l’autre ou si c’était seulement l’expression d’un extraordinaire malentendu
Le temps dira si le toit de la maison résistera aux bouleversements des problématiques ou enterrera les rêves à deux dans l’effondrement
Je souris au bout de ma terre qui a la faveur encore du soleil, accueille les oiseaux dans son nid de chaleur ancestrale
Repensant tous les exils fixés en son sein
Le ciel n’a pas l’air d’un masque respiratoire, ni les arbres des allures de couloirs aseptisés
Mes morts ont leurs tropical promontoire
Des rues coule un parfum d’antan, aux confins des saisons de "Meurtres au paradis"
Le réel déjoue le commerce de la peur, renvoie les pantins de l’expectative à leur passion ridicule
On a trop administré à mon île le virus de l’éradication, préservé sa face idyllique pour mieux contaminer ses forces vives
Quel étouffement réajusté par des mains de maîtres pourra nous sauver de la disparition organisée
Depuis toujours, rien n’a vraiment été normal
Les résurgences sont aussi nombreuses que la diversité des fleurs, jardiniers de terribles malheurs, nous ne finirons pas champions pour vos satanées médailles
Des différents charniers, on essaiera de nous faire croire que nous vivons là une période charnière
La succession des chaînes, est-ce un collier de liberté retrouvée ?
Il y a eu des gens de couleurs libres comme si cela pouvait se réduire à un nuancier
À l’heure où j’affûte d’autres armes, la mer gronde au loin, le pays même blessé dans sa chair, envoie au monde des signes de survivance mais pas d’abattements
Il ne sait pas si il crèvera de mort naturelle ou finira naturalisé dans un quelconque musée
Mon cœur est gros de son souffle pour aujourd’hui et demain

Thierry Mathiasin, Le Livre des visages, 30 mars 2020

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Né à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) en 1967, Thierry Mathiasin a passé son enfance et grandi à Deshaies. Diplômé des Beaux-Arts du Havre en 1993, il enseigne les arts plastiques en collège. Il a publié plusieurs volumes de poèmes et un roman, L’Enragé suivi de Le Monstre du Maroni.

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