Jean-Michel Maulpoix, Possibles n° 56, mai 2020

Jean-Michel Maulpoix
Le contemporain de ce numéro de mai 2020

Lueurs du soir [extraits]

[…] Quelle voix tremble avant de s’éteindre ? Ah, taisez-vous, je vous en prie, cessez vos bavardages ! Vous ne comprenez rien à cette sourde colère qui hurle le malheur de mourir ! C’est l’amour qui s’en va, le désir qui s’effrite, et avec lui nos raisons d’être. J’aurais tellement aimé tenir encore un peu votre visage entre mes mains. Souvenez- vous : le vent d’été naguère dans vos cheveux fut indiscret !

— Mais quelle est donc cette tête d’épingle qui brûle dans la nuit en regardant tourner sur son écran les images des galaxies ? Cette pensée d’homme aux prises avec des planètes trop lointaines et des échelles inconcevables ? Cherche-t-elle parmi les étoiles un minuscule point de lumière qui lui ressemblerait ? Peut-être un soupirail rassurant dans le sans fond de l’infini, une sorte de veilleuse comme on en branche, le soir, dans les chambres d’enfant ? Quelque part, en sortant de chez lui, un dieu de là-haut aurait-il oublié d’éteindre l’ampoule du salon ? Foutaise ! Tout est irrespirable, comme ces nuées de gaz, là-bas, là-bas, où l’on ne s’enfuit pas. Il n’est pas d’oiseaux ivres dans les trous noirs de la pensée. « Là-bas » reste à jamais hors de notre portée : même le plus halluciné de nos rêves n’en pourra jamais esquisser la carte. Cantonnés que nous sommes sur cet astre bleu dont nous ne parvenons même pas à prendre soin. Ni anges, ni démons, ni fourmis, ni albatros, ni grands fauves, irrémédiablement prisonniers d’une stupide erreur de calcul…

— Notre vie ne pouvait donc être que cela : un lot de gestes étriqués et de paroles convenues. Dites, avant de la quitter, combien de fois aurez-vous aimé ? Combien de fois aurez-vous éprouvé la sensation miraculeuse de toucher la lumière du jour ? Et combien de fois aurez-vous reçu ce « coup de poing au cœur que donne en passant la beauté » ? Pourriez-vous, si vous en faisiez le compte exact, vous résigner à la quantité d’heures perdues à effectuer des tâches insignifiantes ?
— Tu parles mal, tu parles faux ! Cesse de remâcher la cendre. Il n’est pas besoin de « toucher » la lumière du jour pour qu’elle nous éclaire et nous réchauffe. Quant aux « tâches insignifiantes », quiconque se prévaut d’y échapper contraint d’autres à les accomplir !

Jean-Michel Maulpoix, Le jour venu, Mercure de France, 2020


Jean-Michel Maulpoix, Les ruses du désir III —>

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