Vénus Khoury-Ghata, Possibles, n° 56, mai 2020

Vénus Khoury-Ghata
Hier : L’invitée de longue date pour ce numéro de mai 2020

Demande à l’obscurité, extraits

Vénus Khoury-Ghata

[…] les gens en ce temps-là se saluaient
les femmes portaient des culottes en soie
les hommes des chapeaux
les couturières qui pédalaient sur leur Singer
avaient l’impression de voyager
Tabliers mouchoirs caleçons robe de mariée se suivaient
dans le désordre
le fil entrait de lui-même dans le chas de l’aiguille
il neigeait des pétales au moindre souffle de vent
Ce que nous prenions pour appels étaient nos voix qui nous revenaient
la pierre qui se détachait de la montagne ne portait aucun message

[…]

la mémoire parle de tornades immobiles
des boucs qui cognaient de leurs cornes la porte pourtant ouverte
la maison se terrait en elle-même
que d’herbes rampantes qui se réfractaient face au seuil
que d’oiseaux engouffrés dans la lucarne sortis effarés
l’aiguille de la mère ne pouvait raccommoder les lézardes des murs et des ailes
ne pouvait rapiécer tous les dégâts de la terre

nos malheurs
un récit d’enfant qui le tient d’un autre enfant disait-elle
tout rentrera dans l’ogre une fois nos dents de lait récupérées du puits

[…]

Figuier escaladé d’une main
l’autre tendue Jean de La Fontaine qui ne connaît pas le nom du lecteur et du pays
même rythme du poème et de la scie de l’oncle menuisier dans son atelier
le bois raboté sent l’abeille
la cigarette éparpille sa cendre sur le sol en terre battue

assis sur les branches
nos yeux sautaient avec les boucs de rocher en rocher
repéraient le ravin la porte de l’enfer et la sainte enterrée dans une fissure du roc
nos rires dilataient l’été

Vénus Khoury-Ghata, Demande à l’obscurité, Mercure de France, 2020

Poète invité : Thierry Mathiasin —>

Vénus Khoury-Ghata a déjà été la contemporaine du numéro d’avril 2019 qui donne à lire, outre ses poèmes, une note que je lui avais consacrée naguère dans La Nouvelle Revue française.

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