André Blanchard, Possibles n° 57, juin 2020

André Blanchard
Le contemporain de ce numéro de juin 2020

Renaud Raphael in memorian

Aujourd’hui 11 avril 2006, semaine de Pâques, je viens d’être averti que Renaud Raphael est mort ce matin. Il avait soixante-deux ans. Je n’entendrai plus sa voix au téléphone, celle qui, depuis 1989, d’abord de Paris, puis, ces dernières années, de ce Sud-Ouest où il s’était retiré dans la maison de famille, m’annonçait les bonnes nouvelles : « Êtes-vous bien assis, vous allez avoir un papier de… » Fin décembre 2005, ce fut pour m’en annoncer une mauvaise : le cancer. S’ensuivirent plusieurs conversations téléphonique où je tâchais de faire celui qui apaise et distrait. Il est entré à l’hôpital de Bordeaux à la mi-janvier de façon précipitée car, une nuit, encore chez lui, il s’est retrouvé paralysé. Une opération d’urgence permit de dégager la moelle épinière compressée par la tumeur. Il récupéra l’usage de ses jambes. Son moral suivait. Son dernier appel remonte à mi-février : il était de nouveau paralysé. Aïe, aïe, aïe, voilà qui ne va pas dans le bon sens, pensai-je à part moi tout en lui présentant comme certain qu’une seconde intervention arrangerait cela ; je lui ai même dit, comme son hôpital se nomme Saint-André : « Cela vous portera chance… », genre de paroles toutes de sottise, que nous savons être telles mais que nous disons juste pour réchauffer le cœur de notre interlocuteur, un instant. Par la suite comme il ne m’appelait plus, je me disais que c’était parce qu’il ne le pouvait plus, c’est-à-dire, du moins je l’espère, qu’on l’avait assommé d’un de ces cocktails de médicaments à même d’enlever au patient ces deux croix : souffrir, se rendre compte qu’il est foutu. Toutefois, je ne croyais qu’à moitié à une issue fatale, ou alors lointaine : il est dans le cirage, il en reviendra, bientôt il pourra me reparler au téléphone. Comme tout va vite, comme les projets sont vite par terre : il m’avait fait part en octobre dernier de sa décision, il avait mis sa maison en vente et allait retourner à Paris. Et voilà. Pour lui aussi ce fut : « Noël au scanner, Pâques au cimetière. » Des quatre qui formaient, au départ, l’équipage chez Erti, trois sont morts. Vient un certain âge où nos livres font aussi office de cimetière. Ainsi va ici-bas : les uns voudraient reposer en paix, et ce sont d’autres qui le font.

André Blanchard, Contrebande, Le Dilettante, 2007, pages 177-178

Privations durant l’Occupation

M’étais-je rendu compte mieux qu’en lisant Léautaud de ce que furent réellement les privations durant l’Occupation, notamment à Paris et dans les grandes villes ? La tableau est saisissant : des dizaines de jours sans pain, aliment pourtant essentiel et pour ainsi dire sacré, et lorsqu’il y a possibilité d’en récupérer un peu, est-ce que cela mérite encore le nom de pain ! Quant au charbon, lui aussi rationné, il est de si piètre qualité qu’il ne donne qu’un filet de chaleur, au mieux, et on voit Léautaud contraint de passer par les flammes une partie de son mobilier. Quand on voit aujourd’hui les poubelles de nos villes garnies de pain, parfois des pains intacts, on se prend à douter que pareille dureté de vie date d’une quarantaine d’années, d’hier en somme. Pour ma part, je n’en rare pas une croûte : tout ce que nous ne consommons pas va aux animaux, oiseaux, chiens et lapins des voisins quand je vais à la cambrousse. Sur cette question, je dois dire que je suis assez vieux jeu. [Note du 3 janvier 1986]

André Blanchard, Un début loin de la vie, Le Dilettante, 2018, pages 283-284


André Blanchard, La dernière note —>

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