Claude Donnay, in Possibles, n° 57, juin 2020

Claude Donnay
La page “invitation” de Possibles, n° 57, juin 2020

Viens ici que je te parle

Claude Donnay

Viens ici que je te parle
De ce tiroir de commode où j’enferme ma vie
Quand la lune a terminé son travail
Et que mon lit dérive à ta rencontre
Sur la Baltique ou dans le Golfe persique
Au large de l’Iran comme une felouque à voile pourpre
Viens, approche
Je vais vider le tiroir à tes pieds
Tu pourras fouler les mots que tu n’as pu entendre
Ils feront trembler tes voûtes plantaires
Remonteront tes chakras comme une corde à nœuds
Jusqu’au fronton de l’Olympia
Je suis un bateau voguant dans tes veines
J’ai abandonné la commode aux six tiroirs
Pour traverser le Golfe aux mille dangers
J’aurais pu voler tel un milan royal
Avaler les montagnes et les déserts de sable
Entre les drones et les colombes naïves
Mais j’aime l’eau
J’aime flotter dans mon bateau-tiroir aux poignées de laiton
Sentir le vent gonfler ma voile faseyante comme un doute
Cette boule qui monte et descend
Tandis que la valise s’impatiente sur le lit
Viens ici que je te parle encore
Ici on peut se promener en manches courtes
Le soleil brille toute l’année arrimé à son filin
Je veux emménager dans ton couloir
Aménager une chambre sous ton ciel
Et installer ma commode à six tiroirs
Où j’enferme ma vie
Quand ton absence scintille dans la boue des ornières
Et qu’il ne me reste que le mot « bleu »
Pour offrir un ciel à nos oiseaux

Claude Donnay, Le Livre des visages, 21 février 2018

Préface à Cette vie insensée de Philippe Colmant

Comment vivre sans poésie ? Comment ? La question ne se pose pas à qui tient un recueil entre les mains. Quelle chance qu’il ait abouti entre nos mains ! Ce miracle de mots et de papier, au parfum subtil, au toucher délicat…
Parfois des gens sont morts, meurent encore, pour avoir écrit ces mots de révolte, de douleur ou de ravissement. Parfois des gens sont emprisonnés, torturés, pour avoir voulu sauvegarder l’essentiel, leur vérité, leur espoir, leur refus.
La poésie est toujours un combat pour mettre au monde, ou rappeler au monde, ce qui fonde le monde, ses piliers de vie pour supporter le ciel. Et rien n’est facile quand on écrit un poème, et celle/celui qui le lit sait quel voyage au plus loin de lui-même, le poète a dû accomplir pour que ses mots prennent sens jusqu’à toucher l’autre au plus profond de son vécu.
Comment vivre sans poésie ? Il semble parfois que notre monde moderne y arrive, mais détrompez-vous, ce n’est qu’une illusion. Peut-être vend-on moins de livres de poésie, peut-être semble-t-elle désuète, voire moribonde… Ce n’est qu’une illusion. La poésie est vivante. Elle vit parce qu’elle dit la vie, parce qu’elle est la vie dans ses fibres les plus essentielles, et comme la vie, elle mue, s’adapte, semble dormir d’un œil, exulte, se recroqueville, rebondit, se répand sur les lèvres, se déverse dans les oreilles et les regards, partout sur les murs, les places, les trottoirs, les réseaux sociaux, les visages et les corps. La poésie vit en nous et par nous.
Et le recueil de Philippe Colmant, Cette vie insensée, participe de ce mouvement, de cette vie dans sa beauté, ses fulgurances et ses souffrances, dans son quotidien et dans ses rêves de lumière.
Entrez avec lui en poésie ! C’est un voyage dont on ne se lasse jamais.

Claude Donnay, préface à Cette vie insensée de Philippe Colmant, Demdel éditions, 2020, 118 pages, 12 €

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Claude Donnay est poète, nouvelliste et romancier. Voici quatre de ses volumes parus. Il a donné cette préface à Philippe Colmant déjà présent dans le n° de janvier et dont tous les recueils figurent à cette adresse.

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