Marie-Claire Chouard, Possibles n° 59, octobre 2020

Marie-Claire Chouard
La page “invitation” de Possibles, n° 59 d’octobre 2020

Un long baiser

Je crois que j’aurais aimé un long baiser, profond, fougueux. Une main qui écarte le tissu pour frôler un sein, un corps envahissant de tendresse, des paumes chaleureuses dessinant nos contours. Des peaux qui s’apprivoisent, des mots murmurés dans le lâcher prise d’une étreinte emplie d’amour et de désir. C’est en plein sommeil profond, ou à l’aube à peine surgit, je ne sais plus, que le réveil brusque s’est fait. Personne ne nous enseigne la solitude de la pleine nuit. Celle où, se redressant, on cherche l’air pour retrouver la respiration. On ne sait plus quelle est la maison, on ne reconnait pas les sons, la fenêtre était-elle déjà là ? Et la porte ? Le lit est immense, aucun bruit, juste la fraîcheur des draps. Dans ce silence de cathédrale, les yeux ouverts sur le vide de la nuit, j’ai deviné mes terreurs d’enfant. Le cœur se serre. Il m’a fallu d’un geste de la main, oublier tout ce qui fut retenu. J’ai respiré lentement, pour amadouer mes peurs, pour leur rendre la douceur et revenir sur un chemin calme. Il y a dans la respiration une promesse silencieuse d’une paix sereine à venir. Comme on atteint la rive d’un lac en montagne, après les essoufflements de la montée, la lenteur de la marche, le ralenti du cœur contraint par l’altitude. J’ai cherché la clémence de mes pensées. J’ai demandé pardon pour les erreurs commises ou pas. J’ai choisi un rythme très lent pour respirer. Une dimension toute personnelle dont je suis la seule à connaître les frontières. Au loin me sont revenus en mémoire et en vrac une chanson d’Hugues Aufray, un cinéma en plein air, ma robe rouge à pois blanc, une ville écrue croulant sous le soleil, des avions et des hôtesses de l’air chapeautées. Une pastille vichy fondant sous ma langue.

Marie-Claire Chouard [30 août 20]


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