Delphine Burnod, Possibles n° 60, décembre 2020

Delphine Burnod
L’invitée pour ce numéro de décembre 2020

J’atteste être née

J’atteste être née au pays de la magie un jour dont je ne me souviens plus, habiter tous les jours une ville qui change chaque jour,
faire surgir mon rêve à l’heure où je le souhaite, à la minute où je le souhaite, à la seconde où je le souhaite, le déployer comme un cerf-volant
et souffler à la place du vent quand il n’y en a pas.
J’atteste aussi peindre les couleurs du ciel quand elles sont grises, les remplacer par le rouge de mes joues quand la colère me prend et le rose de mes lèvres quand j’entends un rire.
J’atteste que le temps a des ailes et que le L du mot liberté ne rentre pas dans un carré parce que sa queue est trop longue.
J’atteste par ailleurs écrire cette fantaisie et vous respecter hautement car la vie est une farce (peut-être fraternelle). J’atteste donc ne pas vous en faire une en signant avec une larme, une petite larme de joie qui point maintenant en voyant votre regard. Bien à vous.

Delphine Burnod

Mourir de joie

Maman, est-ce que tu penses que je peux offrir un cadeau à Aline ?
— Oui bien sûr, pourquoi ne pourrais-tu pas ?
— Parce qu’elle m’a dit je vais mourir de joie si tu m’offres un cadeau.
— Mais c’est une façon de parler…
— Parce qu’on meurt un peu quand on est joyeux ?
— Oui c’est ça… on se transforme…
(Silence)
— Maman ?
— Oui ?
— Je crois que je suis en train de mourir un peu.

Delphine Burnod

Il est rare que des mots manquent

Il est rare que des mots manquent
Il faut les inventer pourtant
les puiser dans nos besaces d’écoliers
pour remercier tous les passeurs, grands, petits, connus, inconnus
les droits, les gauches, les troubles, les indignés, les fiévreux, les dépressifs, les joyeux
Aujourd’hui ils me reviennent tous en mémoire
ceux qui devant moi, devant nous, se tenaient le plus droit possible
alors que je ressentais souvent leur malaise
se tenaient comme les pies le long du mur
qui cherchent à honorer le soir l’oeil au loin
se tenaient pour faire grandir un peu
un effort, une phrase, un bout de théorème, une musique, une couleur sur un petit tableau en bas d’une page
juste parce que le peintre l’avait travaillée pendant vingt ans
et que nous ne savions pas encore ce que vingt ans cela voulait dire
se tenaient dos au mur parce qu’ils avaient choisi un jour de transmettre ce qu’ils aimaient
et ce qu’ils ne supportaient pas
Alors aujourd’hui, face aux choses que nous ne supportons pas
tenons-nous aussi, droits et l’œil au loin
vers la seule chose qui mérite au fond que l’on se rassemble aujourd’hui : la paix.

Delphine Burnod


Albert Ayguesparse, in memoriam —>

Je ne connais Delphine Burnod qu’à travers ces billets poétiques repris de sa page sur Le Livre des visages. Je goûte son talent. Elle collabore à diverses revues. Un recueil de sa part sera certainement le bienvenu. — Déjà présente dans le n° 58, dira-t-on ? Et ne serait-elle pas mieux dans la partie « invitation » ? Les temps sont troublés. C’est plutôt la preuve que son écriture devrait vous plaire, selon mes critères.

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