Colette Fournier in Possibles n° 10, juillet 2016

Colette Fournier, Deux Poèmes
La page “découverte” de Possibles, pour ce numéro de juillet

Lui seul

Portrait Colette FournierCe monde n’aime pas la douceur
Il préfère le mordant, la mâchoire, l’étau, la pince
Étriller, éreinter, tremper dans la saumure
Rouler dans le fiel, aigrir les pensées
J’ai cherché ta main de soie, la crème de ta peau
Le moelleux de ton regard
J’ai tendu à ton souffle tout ce que j’étais
Parce que le corps n’est rien tant que rien ne le touche
J’ai tendu aux quatre coins de ma maison des nasses à rêves
Des pièges à espoir, des voiles captatrices
Je suis partie loin de ma terre, loin de ton île
Loin du bruit
Sous mon toit, la rumeur est tranquille
Je peux y danser nue selon mes envies
Libre d’imaginer le dessin de tes hanches
La ligne de ton cou lorsque sur moi tu penches
Ton regard bienveillant qui lui seul me lie

La belle insomnie

Parfois, souvent, je ne dors pas. La nuit m’obsède, révèle mon envers de loup-garou. Je l’invite à entrer par les fenêtres grandes ouvertes et à envelopper de ses ailes d’ombre et de fraîcheur mon propre corps replié. Souvent je la suis comme un matelot ivre poursuit une vague silhouette dans la fumée d’un port. J’aime ses allures saltimbanques, sa mine de mauvaise vie, J’affectionne ma propre peur, respiration coupée, ancrée aux noires dentelures que chacun de mes pas soulève sur un trottoir mal éclairé. L’haleine de la nuit parfume le cœur de la ville quand le sage dort et que le fou veille interminablement.
L’insomnie s’invite quand la vie s’éternise, se liquéfie dans la routine, se désamorce. Ce grand étouffement mental, étau dont j’ai appris, enfant, la férocité des mâchoires, me mâchonne, obstinément, jusqu’à ce que rejetant mes draps, j’ouvre tout, portes, fenêtres, au vent, à la pluie, à la bise parfois.
L’insomnie dit l’urgence de vivre, je me fous qu’elle bouscule mes traits, j’aime qu’elle fasse son charivari dans mon coeur resserré, qu’elle allume mon cerveau qui se refuse à dormir, qu’elle me pousse dehors.
Une nuit d’hiver, un peu follement entreprise sous la tente, cette même hâte m’a jetée pieds nus dans l’herbe givrée. Le ciel n’est jamais aussi immense que la nuit. Grelottant comme moi dans son drap noir taché de blanc, elle cueillait tout, poudrait tout de son silence mouillé. Le sommeil pouvait donc attendre ; l’insomnie, jamais…

Colette Fournier, Deux inédits en version papier, 2016, repris de Facebook et de son site [ci-dessous]

Colette Fournier travaille à son compte, sur la région lyonnaise, où elle tient un site d’une grande clarté. Elle a publié une dizaine de volumes de prose et de poésie.

Alain Jean André [Possibles n° 15] —>

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