- Menu Possibles, nouvelle série n° 13, octobre 2016
- Sommaire de ce n° 13, nouvelle série, octobre 2016
- Contemporaine : Sophie Pujas
- Sophie Pujas, Maraudes, II [2 extraits]
- Sophie Pujas, Maraudes, III [2 extraits]
- Présentation de Sophie Pujas, écrivain
- Découverte : François Laur, 2 poèmes
- Hier : Jean-Paul Klée, [n° 13, mars 1978]
- Invitation : Angèle Paoli, une sextine
- Tous les
sommaires
- Index des auteurs publiés dans Possibles
- [Pour la B.N.F] ISSN : 2431-3971
- Accès au n° 14 paru le 5 novembre
Jean-Paul Klée, De la vie en poésie
Hier : Reprise du n° 13, 31 mars 1978
Comme Jean Breton le souligne dans le n° précédent, il faut que le poète s’occupe un peu de ses livres, de ses public-relations, sans bien sûr tomber dans la représentation du phatasme de luxe ni écumer tous les congrès, toutes les revues… Une œuvre, même publiée, doit circuler, le jeune poète doit soigner son courrier, par politesse, par générosité, il doit rencontrer les poètes qu’il a découverts, aimés, il doit faire ses expéditions de bouquins, fidèlement, coûteusement.
J’étais fort sauvage, timide et modeste… Je voyage un peu plus […] à Paris bien rarement, une fois l’an, de la gare de l’Est à la rue du Cherche-midi. À Luxembourg, jadis, chez l’ami Joseph-Paul Schneider Je reviens de Paris, sous la neige neuve, la première de l’hiver. J’y ai vu Yves Martin, grand et fort Flamand qui sculpte des poèmes-télégrammes bourrés de fleurs. Nous avons bu d’énormes bières, bld de Courcelles, en parlant du point et virgule en poésie ! J’ai serré la main de Jean-Luc Maxence, le jeune éditeur plein d’avenir de Cerbelaud & Giovannoni & Ghislaine Amon. Il a la rage de vaincre d’un jeune loup suisse plein de fougue et de tendresse. J’ai passé la soirée, la nuit, chez Robert Belghanem, l’étonnant poète kabile que tout le monde connaît, que personne ne connaît. En voilà un, Belghanem, qui se fout de sa gloire. Il ne voit personne & n’envoie aucun texte aux revues, aux critiques, il a tort. Il a égaré les chroniques sur lui d’Adrian Miatlev & oublié son dossier de presse chez P.J. Oswald. Qui donc a lu son théâtre « injouable », son Gilles de Rais [Vodaine, 1968], son Spartacus [Caractères, 1970], son El Gabal [Oswald, 1974] ? Qui donc a eu entre les mains ses poèmes de la Galope tournée [Vodaine, 1974], ses deux premiers receuils des Nuits chez Durocher, longue poésie orientale, exclamative, si loin de “l’exténuée poésie parisienne” ?… J’oublie Charge creuse, théâtre paru à Lausanne en 1966 [La Cité]. Il faudrait que les réunisseurs d’anthologies songent à lui. Allez, poètes, circulez, lisez-vous, voyez-vous, citez-vous !… J’ai vu les 3000 livres de Belghanem sur les mystiques, les poètes étrangers, la magie, la politique, l’histoire, la guerre des paysans, la philosophie. Il dévore des centaines d’ouvrages par an, les annote, les utilise. Quelle boulimie, quelle galaxie !
Hélas, si les auteurs vont bien, les éditeurs vont assez mal. Oswald a fait faillite, mais il continuera. St-Germain connaît des diffcultés, mais les frères Breton vont poursuivre le soleil de la gloire, encore. On ne guérit pas plus du virus éditorial que du virus scriptural. L’éditeur belge Henry Fagne vient de mourir à Bruxelles, le 4 février, quel vide il laisse. Combien de bons poètes il édita ! La dernière Année poétique 1977, Seghers, donne justement plusieurs poètes de chez Fagne qui célébra, dans un très joli volume, le surréaliste M. Alexandre, peu avant sa propre mort. Or, tout est paix, car les blancs moissonneurs firent leur travail jusque tard dans la nuit. Non, la crise monétaire de 77-78 n’aura pas plus la peau de la poésie que toutes les guerres ni les dépressions de l’histoire… Nos poètes et nos éditeurs vivront.
Jean-Paul Klée, bio-biblio sur La Luxiotte, ici article quasi intégral, 1978