François Laur in Possibles n° 13, octobre 2016

François Laur [1943-2016]
[La “découverte” de Possibles, nouvelle série n° 13, octobre 2016]

Nous nous savions mortels, mais je n’y croyais pas.
Sous l’impact du crabe fouisseur, j’ai appris ce que vivre l’instant veut dire

François Laur, La Beauté gifle comme un grain, éd. Rafaël de Surtis, 2016

Ces liens qui délivrent

François LaurLongtemps, pour tenter de sourire, j’ai dû brinquebaler en nocturne tardif, m’abreuver d’alcools et de charivari, cavalcader jusqu’aux aubes blêmes où j’allais m’engloutir dans un sommeil peuplé de spasmes nauséeux.
Mais, éveillées les haleines tièdes, je t’ai vue cheminer nue. Tu étais nue en blouse roumaine, et tes mains tes reins, leur puissance de source a répandu ses baumes après ces longs mois saturés de fiel. Tu as donné au jour une harmonie du soir, un nuage blanc au bleu trop dur, la pénombre aux chambres d’été, le vin des rêves à la vie. Sur de riches herbages ou les draps froissés, tu m’as passé au doigt l’anneau de ta confiance, au cou tes cuisses en collier.
Quand je tombais de vide en vide comme un qui tombe pour mourir, tu auras été celle qui est venue, porteuse d’une joie d’exister contagieuse, sève ardente et senteurs d’humus, feu de la saint-jean au cœur. Tu es venue comme les sept couleurs après fracas et trombe d’eau. Tu auras été promesse de vibrer, de palpiter selon l’air des saisons.
Ton sang à fleur de peau rosit la douceur des choses.

François Laur, ultime inédit du 24-26 juin 2016, repris de son site.

Par une grâce de cœur qui sauve

Lorsque tu as épousé les saillies de ma soif, je jouais au seigneur, en tout cas au paladin prenant en croupe tendrons et jouvencelles. On te l’a dit : tu t’abusais aux chatteries, aux corps à corps émerveillés conquis par ton coup de cœur. Mais tu as cru à la saveur de ma langue violente, aux arcanes de ses vocables, tu as fait confiance à ta peau tout comme au flair de tes remuements de plaisir, leur travail de pensée, agile et vive comme loutre.

Alors se sont dispersés la meute de frelons qui bombinaient autour de ma tête, les cafardes menées des fossoyeurs, des naufrageurs de liesse. Nous n’avons pas choppé contre la pierre amour quand l’écume a moussé aux lèvres de ton sexe : tu connaissais si bien la frange fluctuante où chavirent les vagues ! Tendus, un impossible archet nous a émus, de nos deux cordes a tiré un seul son. À l’empyrée quotidien de ta voix, jour après jour m’échoit un âge d’or, quoique s’en vienne à chaque instant un « bruit de cloches sombres ».

François Laur, La Beauté gifle comme un grainLa note de lecture par Pierre Perrin, éd. Rafaël de Surtis, 2016

François Laur est pour moi une découverte de l’année. On voudra bien me pardonner. Il m’écrivait le 24 août : « Le traitement du cancer m’ayant laissé quelque répit, je me suis autorisé à t’envoyer mon ouvrage La beauté gifle comme un grain. Tu en feras, bien entendu, ce que bon te semble, y compris, si tu le souhaites, le livrer à la critique des rats, comme disait Marx ! Bonne lecture, en tout cas. » Tout frais paru aux éd. Rafaël de Surtis, son recueil reçu le 26 août, je lui consacrais une note de lecture le jour même, pour laquelle il me remerçait le 27 à midi en terminant son courriel par une « bonne suite des jours », me laissant loin d’imaginer que le 5 septembre il nous aurait quittés.

Hier : Jean-Paul Klée, De la poésie —>

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