- Menu Possibles, nouvelle série n° 14, novembre 2016
- Sommaire de ce n° 14, nouvelle série, novembre 2016
- Contemporain : Jacques Réda
- Jacques Réda, Amen, 2 poèmes
- Jacques Réda, Tombeau de mon père
- Présentation de Jacques Réda, poète
- Découverte : Richard Taillefer, 3 poèmes
- Hier : Guy Chambelland, [n° 15, octobre 78]
- Invitation : Monsif Ouadaï Saleh, 2 poèmes
- Note de lecture : Diérèse, revue n° 68
- Ajout n° 14 : Jacques Réda, Récitatif [extrait]
- Tous les
sommaires
- Index des auteurs publiés dans Possibles
- [Pour la B.N.F] ISSN : 2431-3971
- Accès au n° 15 paru le 5 décembre
Guy Chambelland, La Mort la mer
[Hier : Reprise du n° 15 [3ème trimestre 1978]
La femme qu’on aima
La femme qu’on aima jadis ici sans le savoir, elle est maintenant l’âme même du paysage que nous fixâmes ensemble. Elle s’échappe des bouquets d’arbres du bord de l’eau, poudroie sur la rivière en dessous du barrage, elle est le tremblement de l’air.
L’auberge découpait la légende en deux parts, les mains le soir sentaient le poisson frais, il y avait des roses au mur, on tirait le vin du puits, parfois la fête s’installait sur la place.
Maintenant que tout est trahi, l’âme dans cet après-midi semblable à la rayonnante fin d’été de jadis, se fond presqu’ à l’âme de cette femme que rien ne distingue plus du paysage. Elle tire sur un corps à quoi elle ne tient guère que par le serrement de narines que lui fait le parfum des menthes. Elle se cherche oiseau, qui toujours s’appelle Mort.
Guy Chambelland, L’Œil du cyclone, 1953, repris dans La Mort la mer, 1971
Quand le cœur tout d’un coup me manque
Quand le coeur tout d’un coup me manque, qui dois-je
me faire, eau ou pierre, pour m’habiter inhabitable ?
Ne suis-je qu’une vieille, ne suis-je qu’un pitre ?
Poème, statue sur l’eau, – mais moi ?
Comme j’avançais encore, maladroit entre chiens et roses, entre femmes et dieux, la mort me mit son bâton dans le corps.
On peut me voir.
Il me tient debout.
À Émilienne Kerohas
Il se met à pleuvoir, très doux, sur les collines. Au
parfum de buis que dégage la terre, aucun doute :
j’approche. Demander de quoi (à qui ?) irait contre
la Poésie. Seule une muraille d’air m’en sépare.
Une femme passe. Au contact de la pluie, sa chair
se fait diamants. Comme le tronc le feuillage, elle
promène son dieu. Je m’envole alors et m’arrête juste
au-dessus d’elle, où, de l’ épée que fait naître ma main
levée, je la transperce de la nuque au talon. Tel le
taureau.
Les voiles alors devraient se déchirer, les portes secrètes
basculer, les mots éclore leurs objets, la lumière, c’est-à-dire l’âme, se faire.
Or rien.
Il faut en prendre son parti. Ce ne sera pas encore
pour aujourd’hui.
Hé oui. Rien que la pluie sur les collines. Que pouvoir
dire qu’il pleut. Qu’il pleut doux. Très doux. Comme
les yeux des chèvres.
Guy Chambelland, La Mort la mer, 1966 et 1971 – Étude de Pierre Perrin pour Les Hse n° 7/8, printemps 2000
Poète invité : Monsif Ouadaï Saleh —>
Guy Chambelland, 1927-1996, éditeur-typographe des revues et éditions Le Pont de l’Épée (82 numéros de 1957 à 1983) et Le Pont sous l’Eau huit numéros de 1988 à 1996. Poète érudit, courtois, lyrique, il a publié une dizaine de recueils personnels (parfois sous le pseudonyme de Jean Sannes). Il dénonça, au sein de certaines commissions du CNL, que certains fussent juges et parties, en vain. Sa bio-bibliographie sur Les Hommes sans épaules.