- Menu Possibles, nouvelle série n° 14, novembre 2016
- Sommaire de ce n° 14, nouvelle série, novembre 2016
- Contemporain : Jacques Réda
- Jacques Réda, Amen, 2 poèmes
- Jacques Réda, Tombeau de mon père
- Présentation de Jacques Réda, poète
- Découverte : Richard Taillefer, 3 poèmes
- Hier : Guy Chambelland, [n° 15, octobre 78]
- Invitation : Monsif Ouadaï Saleh, 2 poèmes
- Note de lecture : Diérèse, revue n° 68
- Ajout n° 14 : Jacques Réda, Récitatif [extrait]
- Tous les
sommaires
- Index des auteurs publiés dans Possibles
- [Pour la B.N.F] ISSN : 2431-3971
- Accès au n° 15 paru le 5 décembre
Richard Taillefer, PoéVie Blues
[La “découverte” de Possibles, nouvelle série n° 14, novembre 2016]
Si je meurs, lorsque reviendra le printemps
Si je meurs, lorsque reviendra le printemps, écoutez-moi ! Je ne fus jamais qu’un enfant qui jouait avec d’autres enfants. Il y eut le choc sourd des assauts assassins sur nos éclats de rires. Entendez-vous, le bruit silencieux du sang qui bat, nos genoux contre la terre de nos pères, les deux mains décroisées sur nos yeux. Autour de moi, règnent les barbares qui n’ont plus rien d’humain dans leurs veines. Comme si rien n’existait, comme si je n’avais jamais existé. Demain la couleur des fleurs ne sera plus la même au soleil. L’orage cette nuit s’est abattu sur nous, dévalant les pentes amères de la montagne. Une armée de songes noirs, cohorte monstrueuse d’un dieu démantelé. Si je devais mourir, à cette heure où j’aurais dû vivre, enveloppez-moi dans le blanc manteau de la vie.
À Jean Boizot déporté à l’âge de 17 ans à Dachau
Je me souviens, nous étions au pied du grand cerisier. Il faisait un temps de printemps. Son visage à peine sorti de l’adolescence. Ses lèvres rouges encore des premiers baisers. Nous rêvions l’un de l’autre peut-être sans le savoir. Souvent la nuit me parle de toi, quand le ciel est à l’orage et pèse sur les épaules de la solitude. Je n’ai rien oublié, on ne peut pas oublier. Les coquelicots saignent de rage à travers champs. Le ru parfois déborde de ton absence. Tu t’appelais Jean – Jean Boizot. Tu venais d’avoir 17 ans. Ils sont venus te cueillir au pied du cerisier, un beau matin de juin 1944, avant même que les blés ne soient fauchés. Ce jour du 27 avril 2014, je suis là, si près de toi. Même le temps qui passe ne peut rien effacer. Ils ont déposé sur le mur de ta maison, qui n’a presque pas changé, une plaque blanche. Blanche comme la colombe de Pablo. Demain, quand je passerai ruelle du Pays-Bas, là comme un cri d’amour au monde,
Le jour portera ton regard
À mon frère
Sous le vent et la lune je garde l’étang aux nénuphars. Le ciel d’automne dans la nuit sombre peu à peu. Je regarde au loin, cet horizon qui s’éloigne de plus en plus de moi.
Une lampe solitaire achève de brûler et se métamorphose. Sonne, sonne à trépas la cloche du village, avec cet air de morgue et de vaillance.
L’orage ce soir s’est abattu. Le long des rues désertées claquent les volets. Seule brille la petite lumière d’une fenêtre.
Dans leurs parodies posthumes, les branches des saules pleureurs font de grands signes de croix. J’observe furtivement la naissance d’une étoile nouvelle et soupire une dernière fois.
À mes pieds s’amoncellent
Les feuilles mortes
Richard Taillefer, PoéVie Blues, 2015 [avec l’accord amical de l’auteur]
Richard Taillefer est né en 1951, dans le haut Var, au pied des gorges du Verdon. Conducteur de trains, il a parallèlement publié 34 numéros d’une revue, Poésimage, dans les années quatre-vingt. Le recueil d’où sont repris les trois poèmes ci-dessus est le dixième paru depuis 1977. On peut lire d’autres pages de lui sur Recours au poème, Ce qui reste, et, sur ce recueil, l’article de Muriel Compère-Demarcy sur La Cause littéraire.