Adeline Baldacchino, Possibles n° 21, juin 2017

Adeline Baldacchino Notes-poèmes
L’invitée de longue date pour ce numéro de juin 2017

Notes-poèmes, extrait, III

Adeline BaldacchinoNote bien que ta mémoire palpite comme une antenne qu’elle aura comme elle des jours de tempête des jours qui ploient sous le poids des jours
des intermittences malheureuses et des puissances à damner les effarés
qui croient toujours que l’on ne peut pas note bien que tu ne t’écris que pour ne pas t’écrier
que tu n’es fou que de ne l’être pas assez que tu ressembles déjà à ton ombre que la chair en plus ne change rien à l’affaire
tant que la lumière ne te traverse pas

que sans fissure tu ne serais qu’un bloc obscur
lancé dans plus nuit que toi que sans fêlure tu n’aurais rien
ni ta mémoire ni son mal ni ta fièvre ni sa peur
et que l’on n’est riche que de ceux que l’on peut perdre
et qui seraient encore là quand bien même on les aurait perdus
puisqu’ils y sont tant que nous y serons

Note bien que les mots ne sont que d’autres manières de sangloter
qu’ils ne t’empêcheront jamais de tournoyer de te noyer de t’effilocher de te décomposer de te défaire même de ce que tu croyais le plus dur de toi-même
de ton squelette
qui sera poudre
de corail

c’est-à-dire une autre plage
dans le même monde

Note bien que les mots ne sont que des traces de morts en puissance que tout ce qui s’écrit s’efface aussitôt que l’instant ne se capture pas
que pas à pas l’on se défile toujours qu’on ne s’encage pas plus que le désir pas plus que le poisson volant de l’âme qui ressemble
au poisson chat qui se déguise en anguille qui te file entre les doigts
de pied de l’âme

Note bien que tu peux en rire autant qu’en périr
puisqu’aussi bien le ciel n’en sera pas moins bleu si tu le déchires
puisqu’aussi bien tu n’auras ouvert que ton cœur sur la table où tu saignes
puisqu’aussi bien tu n’auras rien gagné à savoir que tout est perdu

Note bien que tu peux trouver des lèvres
auxquelles confier un peu des tiennes que tu peux avoir toute la mer
qui clapote dans ton ventre que tu peux enfanter
des rêves et des créatures
que tu peux fermer les yeux quand l’autre gémit
si c’est de plaisir

que tu es presque
tout puissant.

Adeline Baldacchino, Notes-poèmes, inédit, train Paris-Quimper 6 avril 2017


Adeline Baldacchino, née en 1982, a publié à ce jour une douzaine de recueils dont 33 poèmes composés dans le noir (pour jouer avec la lumière), Rhubarbe, 2015 et cinq essais. Elle conduit le séminaire de poésie contemporaine à l’Université populaire de Caen et organise, depuis l’automne 2015, des rencontres mensuelles de poésie au Théâtre des Déchargeurs, à Paris. Je lui ai consacré trois notes de lecture, ci-dessus.

Invitation 2 : Joëlle Pétillot —>

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