Philippe Delaveau, Possibles n° 21, juin 2017

Philippe Delaveau, La Joie
Le contemporain pour ce numéro de juin 2017

Parfois j’ai su la joie dans des endroits inattendus,
entre le château d’eau comme une tour sans fou,
sans cavalier, sans dame ou près du fleuve,
sous le gazomètre empêtré de ses tubes.

La joie, pas même une seconde, envahit et nous quitte,
éclair subit venu de ce versant caché du monde,
        insaisissable, vive, un univers
exulte et nous effleure, quelle fenêtre
tout à coup sur un ciel inconnu, quelle tige
        oscillant d’agapanthes heureuses
quel paradis là-bas hors de nos mains où l’âme
déjà dans la présence et la joie s’accomplit,
        vive, future gloire.

J’ai soupçonné toujours le don vers nous d’un ange
la traînée d’astre, hors d’un désert,
le réconfort comme la Ville où notre cœur s’apaise.

Puis le béton reprend ses droits ou la volée de marches
l’herbe d’une folie, le pavement rompu,
et nous marchons dans une rue sans fin qui nous ignore

vers quelque lieu insoupçonnable et proche,
        bercé d’ampoules jaunes
où les moustiques frondent les bras, les joues et le menton.
Là-bas d’une voix éraillée, quelques chanteurs déçus
        écaillent leurs guitares.
Mais l’autre Ville au fond de nous si nous fermons les yeux,
une hauteur au fond de nous soudain comme une échelle
où Jacob avait vu monter dans le ciel entrouvert,
monter, chanter, descendre, brûler d’une joie vive,
        les hiérarchies des anges.

Philippe Delaveau, Invention de la terre, © Éditions Gallimard *, 2015
Cette mise en ligne n’aurait pas pu se faire sans l’accord de l’auteur

* « Tous les droits d’auteur de ce texte sont réservés. Sauf autorisation, toute utilisation de celui-ci autre que la consultation individuelle et privée est interdite ». J’ai consacré une note de lecture à L’Invention de la terre en janvier 2015. Elle figure à cette adresse.

Philippe Delaveau, Vigueur —>

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