Hennie Claude in Possibles n° 22, juillet 2017

Hennie Claude, Deux textes
La “découverte” de Possibles, n° 22, juillet 2017

Le pot de miel et le pot de saindoux

Hennie CLAUDEUn pot de miel et un pot de saindoux partageaient l’étagère de la cuisine, parmi les bouquets de thym, les feuilles de laurier, la sauge et le cerfeuil.
— Moi ! Moi ! Disait le Miel au saindoux. Les enfants m’adorent sur des tartines ! J’ai des vertus apaisantes sur la gorge et sur les bronches.
Le pot de saindoux baissait la tête.
— Moi ! Je suis le noble fruit des ruches du domaine. Toi, qu’es-tu ? Qu’un sous-produit du porc, qu’on utilise parfois pour cuire les patates quand l’huile vient à manquer.
Le pot de saindoux, accablé, ne savait que répondre.
À force d’entendre, l’été, toujours la même litanie, le malheureux croyait que Miel avait raison.
Après tout, il n’était que graisses filtrées après la cuisson.
— J’ai une si belle couleur, la couleur du soleil ! Une odeur délicate et de beaux reflets d’ambre, pérorait Miel en ces jours d’abondance.
Or, l’hiver précoce s’abattit sur les plaines, figeant les sources, ruinant les récoltes.
Les gens de la maison vidèrent le pot de miel pour soulager leur toux.
Les placards se vidaient et les braves habitants étalèrent le saindoux sur le mauvais pain noir.
Ils reprirent des forces, aussi quelques kilos, et évitèrent ainsi angines et bronchites.
Le gras est généreux. Les jours de disette, il redistribue, permet le superflu, préserve le nécessaire.
Aussi, pots de saindoux, n’enviez donc pas le miel, car chacun a sa tâche, sa fonction ici-bas.
Ignorez les moqueries des bocaux aux couleurs chatoyantes.
Ils offrent du plaisir et sont très convoités, mais vous êtes essentiels les jours d’infortune.

Hennie Claude, Le Livre des visages, 1er juin 2017

Le soleil faisait des siennes

Le soleil faisait des siennes, comme souvent à l’époque.
Ils disparaissait durant des jours, parfois même des semaines.
Il faisait brun. Les nuages couvraient le sol.
Le ciel, congestionné, ne pleurait plus.
C’est alors qu’Il s’arrêta.
Le courant bienfaiteur cessa sa course, usé par des siècles de manège, gorgé d’eau trop douce à son goût.
Alors, le vent se leva.
L’automne grisonnant épousa la neige. Il coucha avec elle sur un lit de galets.
La bise devint blizzard, hurlant partout sur terre ce funeste mariage.
Les cieux s’évanouirent derrière l’épaisse voûte blanche.
Alors, les eaux montèrent.
Loups et ours envahirent les espaces pentus.
Et moi, j’attendais là, debout sur mes deux jambes, lors du dernier matin du monde.

Hennie Claude, Le Livre des visages, 5 juin 2017


Invitation 1 : Pascal Boulanger —>

On peut retrouver Hennie Claude sur sa page du Livre des visages

Page précédente —  Imprimer cette page — Page suivante