Jacqueline Fischer, in Possibles, n° 22, juillet 2017

Jacqueline Fischer, deux textes
La page “invitation ” de Possibles, n° 22, juillet 2017

Les pierres de mon gué guident l’eau non les pas
Jacqueline Fischer

Je voudrais t’écrire

© Jacqueline FischerJe voudrais t’écrire comme on s’ouvre les veines
Comme on écarte ses cuisses un matin de printemps
Pour l’amour de la vie quand on se sent partir
Je voudrais t’écrire comme on mouillerait d’encre
Les dessous secrets des choses inavouables.
Je voudrais t’écrire des mots durs qui gravent dans la pierre des jours les histoires élastiques.
dont les lettres s’effacent avant qu’on ne les lise, s’abritant de l’oubli.
Je voudrais t’écrire que rien n’est arrivé, que rien ne viendra plus, que tout est à attendre.

Jacqueline Fischer, Le Journal ajourné, 2012, épuisé


Je gratte le papier

Je gratte le papier et des oiseaux s’envolent vers des pays perdus aux confins effacés où d’étranges humains partagent en silence un discours incompris et inarticulé
je gratte le papier il vient une colombe qui ne chante la paix que très tard dans la nuit et le reste du jour n’est que pluie et que cendres
je gratte le papier et une porte s’ouvre qui invite mes pas vers des lieux trop connus.
je gratte le papier et des cris se déchaînent qui ne déchirent plus le trop plein des nuages
leurs graves et leurs aigus éteignent l’infini.
je gratte le papier et je n’ai pas de haine juste un vague dégoût
qu’est ce je fous ici ?
est-il bien une place et ce n’est pas la mienne, j’usurpe un strapontin dans un wagon fantôme qu’on attend vainement sur un quai en pleine herbe.
je pique le tissu et ma peau se perfore, s’ouvrent toutes les portes où la vie s’insinue, des remous de nuances envahissent mes pores, s’y déposent des encres où je navigue à vue.
je pique le tissu et le néant se peuple le vide se remplit de couleurs et de bruit, ce sont les rues, les champs les immeubles et les hommes ...
je pique le tissu et l’espace s’éploie, il parle de ces villes où je n’irai jamais
et où vivent des êtres dont l’amour me consume
je visite en silence des cadences premières celles que les humains ont voulu oublier
je pique le tissu et la joie me bouscule sereine ou exultante
et rien ne compte plus.

Jacqueline Fischer, Le Journal ajourné, 2012, épuisé

On peut suivre Jacqueline Fischer sur son site personnel. Celui-ci offre à lire et regarder des poèmes illustrés ou non et ses créations textiles et, entre autres, ceci : « Je pense que parfois l’artiste doit faire taire l’artisan scrupuleux et perfectionniste et tatillon, qui sommeille en lui, et parfois l’artisan doit secourir l’artiste qui oublie souvent dans le feu de l’inspiration que, sans technique, on n’arrive à rien… mais la technique pure en virtuose pour éblouir, non ; le salopé pour faire spontané et  “qui se lâche”, non plus. Je suis hostile à tout ce qui n’est pas initié par un élan, une envie, venue du “fond de moi”.Il se peut que ce fond soit très peu profond, mais peu importe. Ce qui compte, c’est l’accord entre ce que je veux faire, et les moyens d’y parvenir. Je ne refuse rien : je teste et je sélectionne les moyens qui s’adaptent – je dirais presque “à mon  propos”, lequel varie d’ouvrage en ouvrage. Il s’agit moins de “faire” encore moins de “bien faire” que de “dire” avec étoffes, mots ou images ce qui me vient. »

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