Patrice Cauda, Possibles n° 34, juillet 2018

Patrice Cauda
La page “invitation ” pour ce numéro de juillet 2018

La Mère défigurée, I

Plus tost seront Rhosne et Saone desjoincts,
Que d’avec toy mon cœur se desassemble

Maurice Scève, Délie, 1544

Un an déjà elle était encore là
assise à sa porte toujours vêtue de noir
semblant écouter ailleurs un bavardage qu’elle n’entendait plus

Sur ses mains on lisait le travail
ses mains osseuses trop blanches sur la robe pauvre
ses deux mains dont parfois j’avais honte

Il faut traverser le fleuve pour la voir
une grande porte de fer entourée de fleurs à vendre
une plaque blanche où le portrait est absent

Sur son visage fermé il n’y a plus de refus
le bruit du fleuve couvre les farandoles
peut-être un autre rêve où je ne suis plus

Chacun de mes pas est un retour vers sa vie
des lumières multicolores déjà sous le soleil
cette femme en robe ancienne est une morsure

Ce soir sur la promenade il y a un bal
on prépare la joie comme un grand festin
à chaque port elle reste suspendue

Elle était le refus de toute fête.

Patrice Cauda, Pour une terre interdite [extraits], © Les Hommes sans Épaules, 1952 ;
repris in Christophe Dauphin, Patrice Cauda, Je suis un cri qui marche, essai, choix de poèmes, 2018

Patrice Cauda, La Mère défigurée II —>

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