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Alain Nouvel
Le contemporain de ce numéro de décembre 2018
Tu m’as dit ton silence
Tu m’as dit ton silence et me l’as interdit. Tu n’es plus là mais tu me hantes, ta parole m’obsède et m’oublie. Elle se ressasse, m’érode et me lasse et me lie, elle vit en moi sans toi, elle me fatigue de sa vie. Tu l’as laissée en moi, tu es partie, et c’est brûlant comme un crachat.
« Mon père, ou mon mari, ou mes amants, je suis leur femme, et leur enfant. Et meurtrière aimante. Du sable entre les dents. Du vent. J’érode et suis friable. Je câline et je pars. L’amour élague et crucifie, car il grandit et fait grandir. Pardon pour les tourments que je te crée. Moi, j’ai grandi trop tôt. Vieillarde enfant. Sur le départ tu sais, toujours sur un départ. L’une de moi te veut, et violemment, l’autre rue et te nie. Je veux et ne veux pas, te fuis. Ami, amant, mari, néant. Tout, trop, plus rien. Comme une enfant qui ne sait pas et ne veut pas savoir ce qu’elle veut, si même elle veut, accuse ses traits en ce jeu. Celui qui m’aime m’abolit. Et j’abolis celui que j’aime. Il me faut le défigurer, en faire un monstre pour me plaire. Que je puisse le repousser. Je désire jeter ton amour le plus loin, le plus bas, jusqu’au point où tu t’en iras. Jouer avec ce non de moi, de toi. Je te fais Dieu pour t’adorer, et puis t’apostasier, et pire. Et rire. Te dire non et te rider, comme j’aurais dû dire à mon père. Comme je n’ai jamais osé. Tu sais, je suis Peau d’âne, et de dame, et d’enfant. C’est mon démon ces oui, ces non. Ma vie de femme intermittente. En ce démon je suis. Surtout, souffrir de vous faire souffrir et de vous voir souffrir. Besoin de ce souffrir-là. Il me déchire et c’est ma joie. C’est ma façon à moi de pénétrer ceux qui pénètrent. Les allumer et les brûler, c’est mon jeu d’en jouir. Homnivore malgré moi, vraiment. Impossible de faire autrement. »
Alain Nouvel, Variations sur une femme donnée, et reprise, éd. La Chimère, 2005 [p. 109]