Carmen Pennarun in Possibles n° 39, décembre 2018

Carmen Pennarun
La “découverte” de Possibles, n° 39, décembre 2018

Sur son cahier d’écolière

Sur son cahier d’écolière, pour se venger, elle le traitait de tous les noms quand il avait frappé sa mère, et qu’elle n’avait pas su, pas vu à temps, pas pu offrir son dos, déformé par la scoliose et le manque d’amour, en pâture à la colère paternelle.
Il est encore venu avec sa colère, malgré les décisions de justice. Le lion en lui rugissait. La vie, il la veut toute entière, et elle est belle la vie quand on la savoure en parfait égoïste, soumettant l’entourage à toutes sortes de caprices. La vie il la veut avec tous ses droits et ce n’est pas un juge, une femme qui plus est, qui va la lui limiter. C’est son droit divin, son droit d’homme, de détruire toute femme qui sur son chemin souhaite lui dicter une conduite. S’il veut flamber son argent jusqu’au dernier centime, il le fera, dût-il, pour cela, mettre ses enfants dans une situation périlleuse. Ne sont-ils pas soumis à l’obligation alimentaire ? C’est un juste retour des choses quand on a élevé ses enfant avec rigueur, à coups de corrections.
Sa femme, elle se laisse porter. Elle flotte dans l’inconscience totale. Là où ses neurones en débandade la conduisent il n’y a plus ni mari, ni enfants.
Sa fille regrette de ne pas avoir coupé ses attaches il y a longtemps. Sa mère jamais ne l’a protégée… Mais alors que la majorité lui aurait permis de fuir, elle ne l’a pas fait car elle voulait garder un regard sur ses frères.
Les frères ont grandi, ont pris de la distance… mais la fille est restée, elle a fait pousser ses enfants dans un périmètre pas trop éloigné de ses parents… pour que sa mère éprouve un peu de bonheur dans le voisinage de ses petits enfants.
Le temps est impitoyable : il est encore venu rugir chez elle !

Carmen Pennarun, in Le Livre des visages

La porte

Leur enfant n’est plus, alors ils ont abandonné la maison, mais ils n’ont pas laissé la porte.
Elle quittera avec eux la vallée où ils vécurent heureux. Il ne faisait pourtant pas beaucoup de bruit ce bonheur, il aurait pu passer inaperçu, se laisser oublier et durer…
La charrette organise le voyage, des gens, des choses utiles pour l’exil sur terre, et de la porte.
Le vent pourra mugir entre les quatre murs, soulever la toiture qui n’a pas su les protéger.
La pluie alors pourra finir le travail, laver, noyer les souvenirs.
Ils s’en fichent des souvenirs, ils emmènent la porte et ils la planteront quelque part, dans un coin joli et tant pis si on ne les comprend pas. Il faut bien commencer par quelque chose, pourquoi pas par la porte ! Quand elle s’ouvrira, où que ce soit, ils verront entrer la silhouette aimée, et ensuite seulement ils laisseront le « nouveau » franchir le seuil… et chaque ami sera invité, il apportera sa pierre et la maison se construira de l’intérieur. Le bonheur ne se construit pas autrement. Après avoir beaucoup erré, la pensée arrêtera leurs pas et le temps, d’ici ou d’ailleurs, se posera en un lieu fertile où comme un arbre leur cœur tendra ses ramilles au souffle du printemps.

Carmen Pennarun, in Le Livre des visages

Hier : Gérard Mottet, Deux poèmes —>

Carmen Pennarun vit près de Rennes. Après divers recueils de poèmes, des nouvelles, ainsi que, chez Planète Rêvée, un album jeunesse, elle vient de publier L’Escale inévitable, poèmes, L’amuse Loutre, 2018

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