Estelle Fenzy, “page découverte” de Possibles, nouvelle série n° 3, décembre 2015]

Estelle Fenzy, deux poèmes
[La page “découverte” de Possibles n° 3, décembre 2015]

couv. ChutMa mère est belle. Avec le lent travail des saisons sur son visage.
Nul besoin de convoquer les miroirs. Ni de tirer les cartes. Je suis déjà l’écho. La résidence vive de son être.
Songeant chacune à l’enfance nous nous trouvons face à face.
Le temps depuis toujours se divise. Nous avons pris les mêmes morceaux. Partagé les secrets. Les premières amours. Le sang menstruel. Les doutes d’être femme. Les linges écarlates de l’enfantement.
Et puis une nuit nous avons partagé la mort de mon père. Nous avons tenu les larmes à côté de nos yeux. Elles ont coulé dans cette étreinte qui nous a serrées longuement.
Plus rien ne nous séparera de nos souvenirs.


Je tremble.
En silence mais de tout le corps. Je suis un grand brasier de flammes fouillées. Mon horizon fauve dans le soir se dessine.
Je tremble.
Devant les rues à traverser les marches d’escalier les bouts de verre cassés. Là où ça coupe pique brûle.
Lorsqu’un danger cogne sans bruit sur le doux mur du ventre, moi seule je l’entends.
Il ne faut pas me confondre.
Ni moi ni ma chair inquiète. Mes frémissements ne sont pas ceux de l’autre amour. Seul le péril me vacille.
Je suis mère.
Je suis une femme qui tremble.

Estelle Fenzy [*], inédit, extrait d’Un mouvement d’amour sur la terre, à paraître

Hier : Roland Nadaus À ma femme —>

[*] Estelle Fenzy est déjà sur le site Terre à ciel où l’on peut lire cinq autres poèmes de cette veine qu’elle définit comme « un chant de la maternité ». On y découvre aussi un entretien laconique, original et d’une grande pureté. Ailleurs encore sur la toile, dans la revue en ligne Festival permanent des mots, deux beaux poèmes dont l’un suggère un bel amour : « Le temps a écarté ses mâchoires // Tu as fait feu de ton bois / dans ma maison ». Concernant son écriture, elle dit : « J’écris au rythme de la vie, dans la vie. Sans rituel. Le plus souvent autour d’un thème qui touche mes émotions, mes sens, ma propre existence et son cheminement (la maladie et la mort de mon père [in Chut, couverture ci-dessus], une chanson qui me bouleverse, un crash d’avion, une passion, la maternité…). Parfois les poèmes jaillissent et décident seuls du sujet. Alors ils sont un peu conteurs. Me soufflent des histoires. Mais quels que soient la forme et le thème, je travaille toujours au dépouillement. Je fuis le mot de trop. Le superflu, l’effet joli qui éloigne de l’essentiel. Il y a une vraie intensité d’être, à la fois charnelle et spirituelle, dans l’écriture. J’espère que ma poésie en est le reflet bien plus que la traduction. Afin que le partage soit possible, sincère et total. » [note du 6 novembre 2015]

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